Voies romaines
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Introduction
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TOULOUSE,
Toulouse la romaine ? Cette suspicion serait, nous semble t-il, naturelle au premier abord pour une cité dont le nom est rarement inscrit dans les textes anciens, qui ne possède ni monument romain digne de ce nom, dont l’épigraphie est d’une “affligeante pauvreté”, enfin pour un pays qui n’a ni pierre, ni marbre ce dernier étant le plus souvent passé dans ses fours à chaux. Aussi, vouloir aborder son histoire sous l’angle de ses maîtres géomètres romains semblerait presque une gageure. Pourtant l’archéologie peut nous éclairer et “la géométrie, cette voie de communication quasi parfaite, sans doute paradoxale, de l’histoire au sens ordinaire” peut nous renseigner. “Plus un savoir va vers le pur et le rigoureux, mieux il se conserve et plus aisément il transmet par le temps ses contenus inchangés”[1].
Toulouse la romaine et son quadrillage. Ainsi Tolosa aurait été créée de toute pièce par les Romains au début de notre ère en ce point stratégique du franchissement de la Garonne. Cette nouvelle cité entourée d’une enceinte fortifiée vers laquelle aboutissait la grande voie impériale venant de Narbonne, a été planifiée selon un schéma urbanistique géométrique régulier. Selon un principe bien établi par les mensores, ce carroyage s’appuie sur deux axes orthogonaux principaux : le decumanus maximus et le cardo maximus. L’usage voulait qu’on prenne au point central de la ville ou du camp, la méridienne au moyen d’un cadran solaire et qu’on trace à partir d’une équerre associée la première ligne, le decumanus maximus, selon une orientation privilégiée. Le cardo maximus est ensuite tiré orthogonalement au premier. Cet instrument, l’équerre dont on retrouve les traces dans les textes gromatiques, offrait l’avantage de définir des angles simples, des ratios[2] sous multiples de 5. L’intérêt stadimétrique est évident, il permet au géomètre de calculer tous les côtés d’un triangle visé sur le terrain à partir d’un seul chaînage, cette opération de mesure étant en effet longue, difficile ou parfois impossible.
Mesure stadimétrique. Ainsi, les angles d'azimut prendraient les valeurs suivantes et les seules[3] :
Cette règle mathématique parfaitement illustrée par les plans cadastraux d’Orange[4] est incontournable[5]. On a trop tendance à déroger à ce principe, ce qui conduit parfois à inventer des pseudo cadastres sur des lignes de terrain plus ou moins modernes, ou à tracer le carroyage d’une ville aux lignes brisées qui, de ce fait, ne sont plus des alignements. Les axes sont rectilignes et toujours orientés selon un de ces azimuts. On doit donc imaginer Tolosa à son origine comme un magnifique damier, régulier comme le sont encore de nos jours Timgad ou Lambèse, ces somptueuses cités romaines d’Algérie si bien conservées. Une ville ceinte d’une ligne de remparts prenant appui sur la Garonne et ouverte sur des portes aux points cardinaux du damier. Il n’est pas facile de restituer aujourd'hui le quadrillage urbain de la ville, tant celui-ci a été modifié par le temps. Cependant, les plans anciens des Archives[6] et les découvertes archéologiques ont permis déjà d’esquisser une ébauche[7]. La ville s’articule autour d’un axe nord-sud le cardo maximus assez bien conservé. Celui-ci part de la porte nord, la Porterie retrouvée sous la place du Capitole, s’enfile par une succession de rues dont les rues Saint-Rome et Filatiers pour aboutir à la porte narbonnaise. Cet axe est matérialisé depuis le sas de la Porterie par un vestige d’égout au n°20 de la rue des Changes, un tronçon de cardo place Esquirol pour atteindre l’enceinte entre la tour de l’Aigle et la tour Saint-Dominique (fig. 1). Cet axe majeur est orienté ~5° W. Il est équivalent à celui du cadastre B d’Orange, cette authentique carte romaine gravée sur marbre, dont le ratio exact est de 1/10e, soit 5,71°[8].
Le decumanus maximus qui lui est orthogonal est plus difficile à cerner. Cet axe devait desservir, comme pour le cardo, les sorties est et ouest de la ville. A l’ouest, la Garonne refermait l’enceinte murée. Pour la franchir, on ne sait pas s’il y avait un pont, le “pont de la Daurade” ou le «pont vieux» sur l’île de Tounis. On pouvait aussi passer à gué à l’étiage par les chaussées du Bazacle ou de la Daurade[9], ou bien encore en barques et autres utriculaires. La question reste ouverte, les modes de traversée devaient sans doute se conjuguer selon les circonstances. On admet généralement l’existence d’une porte à l’est, la porte Saint-Etienne, mais il est possible qu’il y en ait eu d’autres. M. Labrousse[10] suggère un décumanus qui, du port de la Daurade, emprunte une succession de rues, Daurade, Cujas, Temponières pour aboutir à la porte Saint-Etienne. Cette proposition a l’avantage d’un tracé assez bien conservé qui passerait au nord du Forum supposé (ancienne place de la halle de la Peyre et de Saint-Pierre /Saint-Géraud). Si l’on suit la règle d’un strict alignement, cet axe aboutit près de la tour à talon, rue des Remparts (fig.1). Y avait-il une porte, la future porte Neuve ? Ce qui est possible, car l’actuelle route de Castres suit le tracé d’une ancienne voie. Ses tronçons rectilignes s’insèrent manifestement dans la centuriation rurale de Toulouse et les nécropoles découvertes dans le secteur de l’ENSEEIHT confirment la présence d’une sortie. G.Baccrabère[11] et d’autres aussi suggèrent un autre décumanus qui emprunterait la rue Croix Baragnon depuis la porte Saint-Etienne. Toujours selon la règle, celui-ci passerait au sud du Forum et arriverait place du Pont Neuf près du théâtre antique et du vieux pont. Cette voie a laissé peu de traces dans les plans anciens[12]. Ces deux decumani, distants de 5 actus (~176 m), seraient tous deux candidats pour le decumanus maximus. Il semble possible de dégager la trame urbaine initiale dans les anciens plans de Toulouse[13]. Bien conservée dans la vieille ville, elle est profondément modifiée au sud. La raison en serait simple. Le château narbonnais construit à l’emplacement de la porte narbonnaise aurait détourné tous les accès vers la place du Parlement (fig. 1). Ainsi, un quadrillage rectangulaire basé sur l’actus et ses sous-multiples semble se dessiner dans le plan[14]. La distance entre la Porterie et la porte narbonnaise est de 33 actus. Le décumanus au nord du Forum se situe à 9 actus de la Porterie et à 24 de la porte sud. A l’ouest le port de la Daurade est à environ 10 actus et la porte est à 16. Le second décumanus au sud du Forum est à 5 actus du premier. On pourrait reconnaître dans les vieilles rues orientées nord-sud quelques cardines comme la rue Sainte-Ursule, et perpendiculairement des lignes décumanes, rues Saint-Jean et des Prêtres par exemple. On notera aussi que certaines parties des remparts sont construites selon l’orientation du cadastre urbain, en particulier près de la Porterie et du côté des portes Saint-Etienne et Neuve (lignes vertes).
La porte monumentale narbonnaise. Deux entrées monumentales encadraient le cardo maximus : au nord la Porterie, au sud la Narbonnaise. La Porterie donnait naissance aux routes de Cahors et d’Albi. On a retrouvé en 1971 lors de la création du parking souterrain du Capitole ses fondations. Son architecture et son emplacement[15] sont donc connus. La porte sud Narbonnaise par laquelle pénétrait la voie impériale est probablement le plus ancien monument et sans doute le plus symbolique de la ville. Elle n’a pas été retrouvée. On pense qu’elle égalait en masse et en importance la porte Auguste de Nîmes ou la Porte Noire de Trèbes et parfois, qu’elle avait la splendeur de l’arc de Trajan à Timgad. Elle se situerait près du Château Narbonnais, quelque part “sous le tribunal de Grande Instance”[16]. Baccrabère[17] la place entre les tours de l’Aigle et Saint-Dominique en estimant cependant “qu’un léger déplacement vers l’est ne paraît pas impossible”. Son emplacement exact était donc incertain. Lors du chantier de fouilles du palais de Justice au début 2006, la base d’un pilier hexagonal d’une tour a été dégagée (fig. 2). La seconde tour flanquant la porte aurait disparu sous les fondations du château comtal, selon les conclusions provisoires des archéologues. La présence d’une « bande de roulement » quelques 20 m plus loin côté place du Parlement semblerait « confirmer la position de la voie narbonnaise[18]» et la disparition de la porte. Cette hypothèse ne semble pas en accord avec les positions du cardo maximus et de la voie d’Aquitaine telles que nous les avons tracées.
En effet, le cardo maximus suit depuis la porte nord en suivant ses vestiges archéologiques un azimut exact de 1/10. L’axe aboutit non pas à l’ouest du pilier dégagé, mais à l’est. On peut le vérifier à l’aide de l’outil Carto Nav et de Google Earth[19] en partant de la Porterie. La porte Narbonnaise se situe nettement à l’est du pilier hexagonal[20] (fig. 3). De plus, les vestiges de la via narbonensis dans la rue Achille Viadieu qui prend un “trajet parfaitement rectiligne”[21] conduit depuis Saint-Roch à l’est du pilier (fig. 4). Le profil actuel de la rue au débouché de la place Lafourcade est trompeur, “la voie romaine cheminait sous les constructions”[22] au carrefour de la rue Saint-Michel. La “bande de roulement” dégagée à l’ouest du pilier aurait été notablement détournée par la construction du château. Son alignement hypothétique avec la voie romaine à Saint-Roch empiéterait sur tous les immeubles numéros impairs de la rue A. Viadieu, ce qui rend rédhibitoire cette hypothèse.
Pour le vérifier, nous avons recherché quel rapport exact entretenait cette voie avec la centuriation de Toulouse (voir infra). En effet, les archéologues ont souvent constaté que les voies principales s’inscrivent dans les diagonales du carroyage rural. Ici, la voie de Narbonne rentre dans le rapport ½ avec le cadastre orienté à 5/9 (29,0°)[23]. Ainsi, la via narbonensis et le cardo maximus de Toulouse convergent en un même point de l’enceinte. Celui-ci se situe sous la Chambre près de la Salle des Pas Perdus[24] (fig. 5). La porte narbonnaise se trouverait donc toujours sous les dalles du palais de justice, seul un premier élément a été dégagé.
Le travail des archéologues a été remarquable, ils assurent au plus pressé un sauvetage dans une zone préétablie et ne s’en écartent guère. Il est vrai de nos jours qu’une réglementation tatillonne stérilise l’initiative et la recherche. On peut le regretter, car la position de ce monument était prédictive mathématiquement, ce qui est un cas exceptionnel en matière d’histoire et d’archéologie. Peut-être aussi, a-t-on trop communiqué pour ce site sur sa partie médiévale au détriment de sa page d’histoire fondatrice, c’était l’arbre qui cache la forêt. Si l’on s’en tient au programme des travaux immobiliers, le chantier de fouilles, “ce livre qu’on déchire les pages ou pire parce qu’il n’y a plus rien derrière”[25] serait terminé. La décision du Ministère de la Justice de sauvegarder les vestiges du château narbonnais en aménageant une crypte archéologique est fort louable. Cependant, on est en droit de s’interroger, et les futures générations aussi, pourquoi le monument de Toulouse parmi les plus anciens et le plus symbolique n’ait point été préservé. Les édiles et les autorités devraient peut-être s'en préoccuper.
La centuriation de Toulouse. Un réseau antique organisait le territoire immédiat de Toulouse. Cette centuriation identifiée par Baccrabère[26] est orientée “approximativement 30° est”, direction bien adaptée à la topographie des vallées et des lignes de crêtes du Lauragais. On la reconnaît dans le parcellaire et les vieux chemins de la rive droite de la Garonne. Elle est orientée selon le ratio 5/9 (29°/est) avec un module de 706 mètres. On pourrait reconnaître en particulier dans la rue Saint-Exupéry et son prolongement route de Revel d’azimut 119° un décumanus. Cette route distribue les établissements gallo-romains de Montaudran, Odars et Labastide ; elle serait une voie en crête depuis la porte narbonnaise (fig. 6). Certaines sections de la “route de Castres” dans la vallée de l’Hers sont de même orientation. Nous trouvons par exemple au cinquième mille[27] de cette voie, le diverticulum de Quint dont le nom dérive probablement de quintus, le 5e. La centuriation s’étendrait toujours selon Baccrabère[28] dans la vallée de la Garonne jusqu’au nord-ouest de Toulouse. Ce réseau se prolongeait à notre avis jusqu’à Castelnaudary, région dans laquelle des parcellaires centuriés ont été relevés[29]. Il aurait servi de canevas cartographique non seulement pour la distribution des terres de la colonie, mais aussi de support à la voie consularis.
La via Aquitania. La via Aquitania comparée à la via Domitia est peu connue du grand public. Sujet de peu de recherches approfondies, son parcours reste parfois incertain. Cette voie figure dans la Table de Peutinger et dans l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, ce qui lui donne un caractère affirmé. Ces documents anciens sont précieux, car ils nous indiquent les étapes et leurs distances (fig. 7). De plus, quelques milliaires ont été retrouvés et des traces de la chaussée mise à jour lors de fouilles archéologiques[30] nous précisent son tracé. La carte de Cassini bien que plus tardive (1760 -1779) est utile. Son «chemin de la poste » emprunte souvent l’ancienne voie romaine ou ne s’en éloigne guère. Cette voie est l’artère maîtresse de Toulouse à Narbonne, la capitale provinciale. Son tracé imposé par les contraintes topographiques passe par la vallée de l’Hers, le seuil de Naurouze et la vallée du Fresquel en cheminant au pied des coteaux afin d’éviter les zones inondables. Il se caractérise par une succession de lignes droites, une spécificité essentielle des réseaux routiers romains. La voie est généralement tirée au cordeau dans le réseau maillé du cadastre. Des bornes milliaires, des relais pour les équipages et des étapes pour le repos du voyageur jalonnent régulièrement son parcours. Le problème est donc de trouver un tracé qui soit compatible avec tous ces critères.
Fig. 7. La voie d’Aquitaine de Toulouse à Carcassonne. La voie romaine Toulouse - Carcassonne.
Deux bornes d’Auguste retrouvées à Saint-Couat d’Aude permettent de dater cette voie en l’an 13 -14. Si d’autres ont été sauvées, aucune n’a été retrouvée in situ. Seul le 3e milliaire, dit de Bellevue (fig. 8), a été signalé non loin de la voie[31]. Cette indication est néanmoins précieuse, car elle permet de définir une valeur approchée du mille passuum. En effet, cette grandeur souvent discutée est éminemment variable selon les pays ou l’époque. Nous avons relevé, par exemple, une valeur de 1610 +/- 10 m sur la voie d’Asprenas en Afrique du Nord, de 1497 +/- 3 m sur la voie Domitia près de Nîmes et de 1531 +/- 3 m sur la via Aurelia. Aussi, il est illusoire d’appliquer en tout lieu la valeur “canonique” de 1481,5 m[32]. On relève un mille d’environ 1500 m entre ce 3e mille et le caput viae, valeur cohérente avec l’emplacement des autres bornes et les distances entre stations (fig. 7). En particulier, le “millage” de la borne d’Ayguesvives a pu être déchiffré (fig. 9). Sur cette colonne ré-écrite trois fois, le caracterarius aurait utilisé le chiffre XIV[33] pour graver le nom de l’empereur MAXIMUS. Il a transformé le V en M. Son emplacement d’origine se situerait dans la paroisse d’Ayguevives sur la portion de voie traversant la vallée marécageuse de l’Hers sur les “pountils”. Nous avons reporté sur la carte au 1/25 000e, le tracé de la voie à la sortie de Toulouse (fig. 12). Elle chemine au pied des coteaux rive gauche de l’Hers, bien visible à Deyme au 10e mille, puis traverse au plus court la vallée au gué de Baziège, l’antique Badera. Le XVe milliaire se trouve aujourd’hui dans son église (fig. 10), celles qui marquaient le XVIIIIe mille à Villenouvelle sont au musée Saint-Raymond (fig. 8).
On atteint ensuite ad Vicesimum (au 20e) au pied de Montgaillard. On s’interroge toujours pour savoir si ce relais concerne le hameau de l’Hôpital ou de Saint-Rome. Ici, les vestiges de l’ancienne forêt porte le nom de “bois de Lapérière”, sans doute une corruption de “la Peyre” pour la borne qui marquait le 20e mille. La borne de Montgaillard (CIL 302, fig. 11) est de lecture incertaine, la valeur XV parfois proposée n’est pas conforme à cette distance[34].
La voie suit le couloir emprunté par la route nationale et la voie ferrée pour arriver au passage obligé du seuil de Naurouze. On atteint l’étape d’Elusio (Font d’Alzonne) au mille 29, au pied de Montferrand (fig. 13). Un site antique y a été dégagé par les archéologues. Il faut atteindre Fines (Ricaud) au 34e mille pour sortir des confins de la colonie toulousaine et rentrer dans celle de Carcassonne. Aucun milliaire, ni aucun vestige de la voie n’ont été signalés. Son parcours devait se confondre, à peu de chose près, avec la nationale, l’ancien cami francès. On atteint ensuite la station de Sostomagus (Castelnaudary). L’ancien bourg gaulois se situerait à l’emplacement du bassin du canal du Midi[35]. A partir d’ici, la voie romaine emprunte généralement la D 33 dont les lignes droites sont encore remarquables (fig.14) jusqu’à Pexiora, puis Bram (Eburomagus). Nous ne sommes plus qu’à 14 milles de la colonie. Le tracé continue dans la vallée du Fresquel jusqu’à Villeséquelande qui serait la mutatio de Cedros (8e mille).
Il faut arriver dans la ville nouvelle de Carcassonne pour situer le dernier milliaire de Numérien[36] (fig.15). Il se trouvait à 1 mille de la Cité, mais le lieu de découverte reste une énigme. “Trouvée à 1 ½ lieue (~5,8 km) de Carcassonne dans un champ, qui porte le nom de Saintose, d’une ferme du sieur Espessoles dans la paroisse d’Alairac, au quartier appelé Villesèquebasse”. Il y a de multiples confusions dans les rapports. Ensuite, la voie romaine franchissait l’Aude sur un pont ou initialement par un gué non loin du Pont Vieux, pour arriver à la porte narbonnaise de la Cité. Les autres milliaires de la voie d’Aquitaine. Deux autres bornes ont été retrouvées sur la voie romaine entre Carcassonne et Narbonne. La première de Tétricus a été trouvée “en 1888, en limite de Barbaira en allant vers Capendu”. Elle est exposée au musée de Carcassonne. Notre lecture de la dernière ligne est différente de celle reportée au CIL (XVII/2, n° 299). On lit K I C IX (fig.15) et non pas XI CIK. La première lettre est un K et ne peut pas être un X[37]. Cette borne se trouvait donc à 9 milles (13,5 km) et non pas 11 milles (16,5 km) de Carcassonne. Son emplacement confirme cette lecture. En effet, grâce à l’obligeance de la mairie de Barbaira[38], celle-ci se trouvait dans le “champ de l’Homme mort” en bordure de la N.113 (fig.17) “près de la station GSO”, soit à 13, 8 km de la Cité. La seconde borne a été retrouvée en 1848 à Saint-Couat d’Aude. Ce milliaire d’Auguste (fig.18) est capital, car il permet de dater la voie en 13/14 et de confirmer un tracé qui suit la rive droite de l’Aude[39]. Nous avons pu examiner la borne exposée au musée lapidaire de Narbonne[40]. Des travaux antérieurs de moulage afin de réaliser un fac-similé pour la mairie de Saint-Couat, avaient dégagé l’épigraphie de ses dépôts. Les lettres soulignées d’un colorant rouge étaient nettement plus visibles[41].
Cette borne se situe à 20 milles de Narbonne et non pas à 21 milles (cf. CIL XVII/II n° 298). Cette valeur est confirmée par deux indications précieuses : sa distance à Rome. On lit sans ambiguïté : IVLI DCCC CXXI | (DC) CCC II, soit une distance de 921 milles (1381,5 km de Rome) par le Forum Iuli (Fréjus) et de 902 milles par un autre trajet plus court. Cette précision est intéressante. Elle montre à quel point les géomètres romains attachaient de la rigueur à leurs levés et que la construction de cette voie d’Aquitaine appartenait à un vaste plan coordonné de mise en réseau des colonies avec la ville impériale. On peut donc comparer ces distances avec celles inscrites sur la borne de Roquefort-des-Corbières (CIL XVII/II n° 291)[42], qui se trouvait à 16 milles de Narbonne et respectivement à 917 et 898 milles de Rome[43]. Enfin, il faut signaler une autre borne augustéenne (CIL XVII/2, n°298a) qui se trouvait encore en 1848 dans l’église de Saint-Couat et qui aurait disparu, placée dans un gué du ruisseau de l’Azagal afin d’en faciliter le passage. Selon les inscriptions relevées par Cros-Mayrevieille[44], cette borne était probablement au 24e mille, c'est-à-dire encore non loin de Saint-Couat où elle avait été déposée. Monsieur le Maire[45] qui veut mettre le patrimoine de sa commune en valeur tente de la retrouver et de la sauver. Sa re-découverte est d’intérêt, car elle permettrait de situer la mansio de Liviana citée dans la Table de Peutinger et de préciser le tracé incertain de la voie d’Aquitaine dans cette région. Les recherches devront donc se poursuivre.
1 M. Serres. Les origines de la géométrie. Flammarion, p. 23. 2 La ratio mundi, le rapport au monde ou tangente de l’angle. 3 L. R. Decramer, R. El Haj, R. Hilton, A. Plas. Approche géométrique des cadastres romains. Les nouvelles bornes du Bled Segui. Histoire & Mesure, XVII -1/2 -109 -162. 2002. L. R. Decramer. La géodésie romaine, un chapitre d’histoire qui reste à écrire. Le jardin des Antiques (Amis du musée Saint-Raymond), déc. 2000, n°29. 4 L. R. Decramer et al. La grande carte de la colonie romaine d’Orange. Actes du colloque Autour des Libri Coloniarum. Besançon, oct. 2003. L. Lapierre, L. R. Decramer. Méthodes géométriques utilisées par les arpenteurs romains. Application aux cadastres d’Orange. Actes du colloque Archéométrie 2005. INSTN, Saclay, avril 2005. 5 Sauf exception citée par Hygin qui critique justement ce manquement à la règle. 6 C. Rivals, R. Camboulives, G. Angely. Toulouse d’après les plans anciens. Ed. J. Laffitte, 1988. 7 En particulier M. Labrousse. Histoire de Toulouse. Privat 1998, 26. G. Baccrabère- Etude de Toulouse romaine. Chronique 3, 1997, plan d’ensemble annexé. Tolosa Palladia. Toulouse romaine. Musée Saint-Raymond, 1988, plan annexé de Q. Cazes 8 Tg 5,71° = 1/10. L. Lapierre, L. Decramer, R. Hilton. Les cadastres gallo-romains d’Orange. Le jardin des Antiques, n° 36, avril 2004, 23 – 34. 9 Plan de Toulouse 1080-1208. Papillault. 10 M. Labrousse. Toulouse antique. Des origines à l’établissement des Wisigoths. Edit. de Boccard, 1968. 11 G. Baccrabère. Etude de Toulouse romaine. Chronique n° 3, 1977.. 12 Cl. Rivals, R. Camboulives, G. Angely. Ibid 5. 13 Toulouse d’après les plans anciens et le plan de 1848 de Joseph Vitry (exposition des Jacobins 2005-2006). 14 Plan de Q. Cazes annexé à Palladia Tolosa. Musée Saint-Raymond, 1989. 15 Il se trouve sur la place du Capitole, près de la grande croix du Languedoc décorant le parvis actuel. Position de la Porterie : X = 0527,884 ; Y= 3145,336 m (Lambert 3). 16 D. Cazes. Palladia Tolosa, p. 65. 17 G. Baccrabère. Voie et centuriation antiques à la sortie sud de la cité toulousaine. Mém. de l’Académie, 1991, 141. 18 L’actualité des travaux du nouveau palais de justice. http://www.ca-toulouse.justice.fr. 19 Ce logiciel gratuit est disponible à tout internaute. 20 Position estimée de la porte narbonnaise : X = 527,990 ; Y = 3144,163 m (UTM, WGS 84 : 0374460 ; 4827943). Précision quelques mètres. 21 G. Baccrabère, 1991, 139 – 149. 22 G. Baccrabère. Habitat, alimentation et évacuation des eaux à Toulouse dans l’Antiquité. MAST, vol. 146, t. 5, 1984, note 218. 23 Azimut calculé de la voie 182,5° pour une valeur mesurée de 182,4°. L’accord est satisfaisant. CQFD. 24 A ce titre, nous avons prévenu les autorités compétentes que la porte narbonnaise se trouverait encore, à notre avis, dans le périmètre non soumis aux recherches préventives. 25 INRAP, événement : http://www.inrap.fr/site/fr/page.php?id=430&p=evenement&id_evenement=9. 26 G. Baccrabère. Habitat gallo-romain dans le toulousain. 1983, 117 -122. 27 Depuis le point central de la cité, le 5e mille tombe au carrefour de Quint - Fonsegrives. 28 G. Baccrabère, p. 118-119. 29 A. Perez. Les cadastres antiques en Narbonnaise occidentale. RAN, suppl. 29, 1995, 30 M. Labrousse. Toulouse antique. Des origines à l’établissement des Wisigoths. Ed. de Boccard, 1968, 234 - 342. G. Baccrabère. Stations gallo-romaines en Lauragais. Mém. de la Société Archéologique du Midi de la France, t. XXIX, 1963, 60. 31 « Retrouvé en 1886,…près du carrefour de la RN 113 et du chemin qui, par Bellevue monte à Pouvourville ». Nous tenons à remercier vivement le musée Saint-Raymond pour l’aide qu’il nous a apportée dans ces recherches. 32 Ch. Goudineau. Cours au Collège de France. http://www.college-de-france.fr/media/ant_nat/.L'auteur ironise sur les "ingénieurs" et les "antiquaires", puis décrète que le mille vaut en Gaule 1481,50 m. Pas moins pour la précision, et ceci à partir d'une mesure non pas de distance... mais de durée. On croirait rêver, si l'on songe qu'il a fallu attendre le concours de la Royal Society au XVIIIe siècle pour obtenir les premiers chronomètres de précision. Encore fallait-il que l'arpenteur conserve et connaisse sa vitesse avec précision, sachant que la distance = vitesse x temps. Un tel enseignement ne grandira ni nos institutions, ni notre recherche nationale. 33 Le V d’origine avec ses deux barres se retrouve dans le M. 34 Nous n’y avons vu que des artéfacts du marbre. Montgaillard est à 20 milles de Toulouse et non pas 15. 35 M. Labrousse, p. 341. 36 Elle est visible au musée du château à Carcassonne. On doit lire sur la dernière ligne de l’épigraphie : N(ostro) M(illia) P(assuum) I. A 1 mille de Carcassonne et non pas de Narbonne (cf. CIL XVII/2, n° 297). 37 Les deux barres ne se croisent pas. La seconde lettre est plutôt un i et non pas un I. Généralement le mille est inscrit en dernière ligne. Le dernier X est en partie effacé à cause d’une cassure, on voit bien IX et non pas IK. Il faudrait peut-être lire K(arcaso) I(ulia ?) C(olonia ) (millia passuum) IX. 38 Nous remercions vivement Mme M. Devaux pour son aide fructeuse.. 39 Sa position élimine toutes les routes évoquées rive gauche, dites minervoises. 40 Grâce à l’obligeance de Mme Farré, archéologue au musée, que nous remercions vivement. 41 On a lu : IMP. CAESAR | DIVI. F. AVGSTVS. P. P. | PONTIF. MAXVM. | COS.XIII TRIBVNICIA. | 5 POTESTATE. XXXVI (barre en haut) | IMP XIIII (barre en haut) | XX | IVILI DCCC CXXI | [DC] CCC II | 10 [R ? ou A ?] I R //. Les chiffres du mille d’une hauteur de 18 cm sont coupés par l’interstice des deux blocs. Le bloc inférieur est écaillé, un raccord a été rapporté ultérieurement. Les signes qui apparaissent ne sont pas gravés, mais dessinés comme pour la barre inférieure du X en particulier. C’est un artéfact de restauration. Nous avons mis entre [ ] les lettres que nous lisons et qui ne sont pas retranscrites dans le CIL XVII/II n°298. 42 Pour la borne de Saint-Couat, respectivement 921- 901 et 902- 882 = 20 de Narbonne. Valeur conforme à l’épigraphie. 43 F. Thiers. La stèle de Fadia Domestica et la voie d’Aquitaine. BCAN, 1891, p. 460. 44 Cartulaire de Mahul, tome 1, 1864, p. 379 et P. Tournal. Bull. monumental 29, 1863, p. 839. 45 Lettre personnelle du 03/05/2006. Il a fait ériger près de l’église un fac-similé (fig. 19) de l’autre milliaire aujourd’hui à Narbonne. |