Le club Archéologie de l'Association Sportive et Culturelle du Centre National d'Etudes Spatiales vous présente ici ses activités dans les domaines de l'histoire des Sciences, la géographie historique, l'histoire romaine et l'archéologie. Ses recherches sur le terrain couvrent l'Europe et l'Afrique du Nord avec des équipes pluridisciplinaires en coopération avec des chercheurs français et étrangers.
Cadastres d'Orange
"une montagne rocheuse d'une hauteur immense" Salluste B.J. XCII
"On trouvera difficilement dans les textes des historiens de l'Antiquité un fait d'armes plus longuement raconté que le stratagème qui a donné la victoire au Consul Marius en opération dans le Sud tunisien, lors de la "Guerre de Jugurtha". L'action du Ligure qui, ramassant des escargots, a trouvé la faille permettant l'escalade de la falaise est notée dans ses moindres détails... Il fut difficile de découvrir ce passage, qui ne s'est révélé qu'en un seul point, où tous les conditions de l'aventure étaient réunies."
Par cette préface, André Berthier annonçait pour la première fois la découverte de cette voie historique par une équipe d'archéologues.
"Il n'y a d'histoire vraie que de la géométrie" affirmait le philosophe Michel Serres, parce que "plus un savoir va vers le pur, et plus aisément il transmet par le temps ses contenus inchangés". C'est donc un chapitre d'histoire de géométrie et de géodésiens de l'Afrique, une page méconnue des sciences géographiques que nous voudrions ouvrir avec vous. Cette histoire de géodésie commence sur une montagne pour se terminer dans la mer, la Méditerranée.
Si l'on songe à cette œuvre admirable que constitue le réseau routier romain en Afrique du Nord, on n'est guère étonné qu'il ait tant marqué la physionomie et les paysages de ces pays. Les milliaires qui balisaient régulièrement ses voies constituent encore les témoins les plus sûrs pour reconstituer leurs tracés et les dater de façon absolue. A suivre leurs enseignements, on pourrait croire que "l'acte de naissance "de ce réseau routier d'Afrique daterait de l'an 14 de notre ère, à l'occasion de l'ouverture de la première voie stratégique par la 3e légion Auguste. On sait que de d'autres voies antérieures existaient dans le territoire de Carthage, mais cette voie militaire construite par le proconsul Lucius N. Asprenas est sans nulle conteste, grâce à ses bornes, la plus anciennement datée que l'on connaisse.
Cette grande voie romaine partait des camps d'hiver de la légion, situés quelque part près des confins algéro-tunisiens actuels, pour atteindre la mer à Gabès. Malgré quelques études savantes, en particulier de son découvreur le capitaine Donau , de nombreuses interrogations, et non des moindres, subsistent sur cette voie stratégique tant sur son tracé que sur son contexte historique . En particulier, l'emplacement des "castra hiberna" de cette légion reste encore hypothétique, le comput, c'est à dire le point de départ de la voie, n'est toujours pas validé, comme une grande partie de son parcourt. Mais la question fondamentale, celle qui interpelle aussi bien le géographe, l'historien que le scientifique, est de comprendre comment une telle voie s'intégrant dans un si vaste réseau routier a pu être définie.
Lors de nos pérégrinations dans le Sud tunisien, à la recherche des bornes géodésiques de la grande centuriation, nous avons été frappé par la concomitance qui existait entre cette voie romaine et ce cadastre. Les multiples relations géométriques qui apparaissaient entre ce vaste réseau quadrillé et centurié par les géomètres et les tronçons rectilignes de cette voie d'Asprenas n'étaient pas fortuits, bien au contraire. Elles montraient un lien organique que l'on retrouvait aussi bien dans un nid de bornes exceptionnel, où milliaires d'Asprenas et borne gromatique étaient intimement liées, que sur la forma, la carte d'état-major des légionnaires romains. Il est indubitable qu'une telle concordance relevait d'une même technique qui avait du s'appliquer dans tout l'Empire. L'étude approfondie de cette voie d'Asprenas devrait nous permettre d'ouvrir des perspectives inattendues pour l'ensemble de l'immense réseau routier romain.