Si l'on songe à cette uvre admirable
que constitue le réseau routier romain en Afrique du Nord,
on n'est guère étonné qu'il ait tant marqué
la physionomie et les paysages de ces pays. Les milliaires qui balisaient
régulièrement ses voies constituent encore les témoins
les plus sûrs pour reconstituer leurs tracés et les
dater de façon absolue. A suivre leurs enseignements, on
pourrait croire que "l'acte de naissance "de ce réseau
routier d'Afrique daterait de l'an 14 de notre ère, à
l'occasion de l'ouverture de la première voie stratégique
par la 3e légion Auguste. On sait que de d'autres voies antérieures
existaient dans le territoire de Carthage, mais cette voie militaire
construite par le proconsul Lucius N. Asprenas est sans nulle conteste,
grâce à ses bornes, la plus anciennement datée
que l'on connaisse.
Cette grande voie romaine partait des camps d'hiver de la légion,
situés quelque part près des confins algéro-tunisiens
actuels, pour atteindre la mer à Gabès. Malgré
quelques études savantes, en particulier de son découvreur
le capitaine Donau , de nombreuses interrogations, et non des moindres,
subsistent sur cette voie stratégique tant sur son tracé
que sur son contexte historique . En particulier, l'emplacement
des "castra hiberna" de cette légion reste encore
hypothétique, le comput, c'est à dire le point de
départ de la voie, n'est toujours pas validé, comme
une grande partie de son parcourt. Mais la question fondamentale,
celle qui interpelle aussi bien le géographe, l'historien
que le scientifique, est de comprendre comment une telle voie s'intégrant
dans un si vaste réseau routier a pu être définie.
Lors de nos pérégrinations dans le Sud tunisien, à
la recherche des bornes géodésiques de la grande centuriation,
nous avons été frappé par la concomitance qui
existait entre cette voie romaine et ce cadastre. Les multiples
relations géométriques qui apparaissaient entre ce
vaste réseau quadrillé et centurié par les
géomètres et les tronçons rectilignes de cette
voie d'Asprenas n'étaient pas fortuits, bien au contraire.
Elles montraient un lien organique que l'on retrouvait aussi bien
dans un nid de bornes exceptionnel, où milliaires d'Asprenas
et borne gromatique étaient intimement liées, que
sur la forma, la carte d'état-major des légionnaires
romains. Il est indubitable qu'une telle concordance relevait d'une
même technique qui avait du s'appliquer dans tout l'Empire.
L'étude approfondie de cette voie d'Asprenas devrait nous
permettre d'ouvrir des perspectives inattendues pour l'ensemble
de l'immense réseau routier romain.
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