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              recherches sur le "Bellum Iugurthinum" par 
              André Berthier*, Lionel R. Decramer** et Chérif Ouasli ***. Résumé.             
              La vision que l'on a traditionnellement des anciens royaumes berbères 
              d'Afrique du Nord au début de la conquête romaine, vision qui pour 
              l'essentiel date d'études historiques de près d'un siècle, paraissait 
              très partielle, souvent contradictoire et en tout cas, peu conforme 
              aux fortes traditions des tribus qui les composent encore de nos 
              jours. De nouvelles recherches ont été conduites sur le terrain, 
              en Tunisie, au cours de trois missions successives par des équipes 
              franco-tunisiennes pour retrouver certains sites que le chroniqueur 
              Salluste nous a si longuement décrits dans son Bellum Iugurthinum. 
              En suivant pas à pas la campagne du consul Marius dans sa guerre 
              contre Jugurtha, le roi de Numidie, et Bocchus, l'"aguellid" 
              de Maurétanie, trois batailles essentielles, trois sites historiques 
              sont proposés. Les conséquences sont importantes car ces places 
              remettent fondamentalement en cause la géographie de ces Etats. 
              Ils permettent de confirmer la proposition d'André Berthier et de 
              ses amis, à savoir que la Cirta Regia des rois numides était bien 
              le Kef en Tunisie et non Constantine en Algérie. Ainsi, d'autres 
              sites - dont parle Salluste lors des campagnes précédentes de Métellus 
              en Numidie, reconnus par d'autres historiens, mais négligés par 
              commodité, ont été aussi examinés.  Mots clés : 
              Afrique du Nord, Afrique romaine, C. Salluste, Bellum Iugurthinum, 
              C. Marius, Numidie, Cirta-Regia. Summary.             
              The traditional vision we have of the ancient Berber kingdoms 
              of North Africa at the beginning of the Roman conquest, which is 
              based essentially on the historic studies of the last century, seemed 
              very partial and often contradictory, and in all cases not in conformity 
              with the strong traditions of the present-day tribes. New research 
              has been undertaken in the field in Tunisia, by joint French and 
              Tunisian teams to identify certain of the historical sites described 
              in detail by the Latin chronicler C. Sallust, in his Bellum Iugurthinum. 
              When following step by step the military campaign of the Roman consul 
              Marius, in the war against the Numidian king, Iugurtha and Bocchus, 
              the "aguellid" of Mauretania, three important battles, 
              three historical sites are proposed. The consequences are important 
              since these places fundamentally question the frontier. These discoveries 
              confirm, for a large part, the proposal of Berthier and others, 
              that the Cirta Regia of the Numidian kings was in fact El Kef  in 
              Tunisia and not Constantine in Algeria. Furthermore, other historical 
              sites, mentioned by Sallust during the previous campaign by Metellus 
              in Numidia, which were recognized by some historians but conveniently 
              forgotten, have been confirmed.  Key 
              Words : North Africa, Roman Africa, C. Sallust, Bellum Iuguthinum, 
              C. Marius, Numidia, Cirta-Regia. * (1907-†2000) 
              Ancien correspondant de l'Institut de France. ** Section  
              Archéologie de l'Asc (Association Sportive et Culturelle) du CNES 
              (Centre National d'Etudes Spatiales). Toulouse. France. E-mail : 
              lionel.decramer@cnes.fr.  *** Association 
              de la Maison de la Culture de Kalaat Senam. Le Kef. Tunisie. 
 Nouvelles 
              recherches sur le "Bellum Iugurthinum" [i] .                         
              On ne saurait que peu de choses sur les anciens royaumes berbères 
              d'Afrique du Nord, si le Bellum Iugurthinum ne nous était 
              pas parvenu. Salluste [ii] , qui fut nommé gouverneur de 
              l'Africa Nova par César un demi-siècle après les événements qu'il 
              décrit, connaissait bien ce pays et nous a rapporté des faits précis. 
              Outre le récit de cette "guerre contre Jugurtha", il nous 
              donne un aperçu, avant la conquête romaine, de la géographie et 
              de l'histoire ancienne de ces royaumes de Numidie et de Maurétanie. 
              Cette géographie historique, largement modelée ensuite par les travaux 
              des spécialistes français du 19e siècle, a été influencée 
              notamment par les idées dominantes de l'époque. Cette vision historique 
              a provoqué et provoque encore, à travers les résistances culturelles 
              dans ces pays, des réactions contre les schémas simplificateurs 
              des bienfaits de la civilisation romaine 
              [iii] , ou contre l'héritage des frontières coloniales. 
              Elle reste encore un élément non négligeable de l'actuelle géopolitique 
              de cette Afrique du Nord. Le 
              Muluccha, fleuve frontière incertain.             
              Concernant les limites anciennes de ces royaumes berbères, Salluste 
              est formel : le fleuve Muluccha servait de frontière entre les royaumes 
              de Jugurtha et de Bocchus (Iug. XIX, 7 et XCII, 5). Il précise même 
              que Jugurtha, lors du partage de la Numidie à la mort de Micipsa, 
              hérite de la partie qui jouxte la Maurétanie (Iug. XVI, 4). Le problème 
              de ce fleuve frontière Muluccha a fait couler beaucoup d'encre chez 
              les historiens, il a été l'objet de bien des controverses, rarement 
              de recherches prospectives et jamais de recherches archéologiques.             
              Nous devons à Stéphane Gsell [iv]  la première synthèse de cette histoire ancienne 
              de l'Afrique du Nord. Son œuvre monumentale, qui date de 1927, est 
              encore influente. Il pensait reconnaître dans le Muluccha de Salluste, 
              le fleuve côtier marocain Moulouïa 
              [v] , rejetant ainsi les propositions d'autres auteurs 
              : le Mellègue [vi] 
               ou l'oued Sahel [vii] . En particulier, il pensait que la Moulouïa 
              portait le double nom de Muluccha et de Malva. En réalité, le nom 
              de Malva s'applique toujours à la Moulouïa. Pomponius Méla et Pline 
              l'Ancien appliquent le nom de Muluccha à un fleuve distinct de la 
              Moulouïa et coulant plus à l'Est. Quant à Strabon, il parle de Molochath 
              ( ) comme limite des Maures et des Masaesyles. Mais Gsell conclut 
              que la source utilisée par Mela et Pline était erronée et admet 
              que l'antique Maurétanie s'étendait sur l'actuel royaume chérifien, 
              tandis que la Numidie couvrait la majeure partie de la Tunisie et 
              la totalité de l'Algérie tellienne. Evidemment, des doutes furent 
              émis par d'autres chercheurs [viii] , Syme 
              [ix]  estimait qu'il n'y a qu'un cas sur trois pour que 
              le Muluccha de Salluste ne soit pas la Moulouïa située si loin à 
              l'Ouest. Mais ces réserves sont restées sans suite véritable.             
              Plus récemment encore Desanges [x] , par une lecture particulière 
              de certains manuscrits du Bellum Iugurthinum - que ne retient 
              pas Ernout [xi] 
               et que réfute Berthier [xii]  - croit reconnaître dans Tucca [xiii] , le lieu où ont débarqué les 
              émissaires romains (Iug. CIV, 1), venus négocier le traité de paix 
              avec le roi Bocchus. Ce qui fait dire à Nicolet 
              [xiv]  "que les soldats de Rome sont bien parvenus 
              dans l'actuel Maroc oriental". Conclusion reprise in extenso 
              dans un mémoire universitaire plus récent 
              [xv] . Pourtant cette thèse, largement partagée, basée 
              essentiellement sur l'onomastique, manque de confirmation archéologique 
              sur le terrain. La référence à une Tucca romaine plus tardive et 
              incertaine n'est pas suffisante pour démontrer l'existence d'un 
              ancien port numide où Marius aurait établi un camp. 
Fig.1 
              : Carte de l'Afrique du Nord et de la marche de Marius.  Le 
              Castellum de Salluste.             
              Salluste nous apporte sur ce fleuve Muluccha, une précision importante. 
              Voici ce qu'il écrit : "Non loin 
              du fleuve Muluccha, qui séparait les royaumes de Bocchus et de Jugurtha, 
              il y avait, tranchant sur le reste de la plaine, une montagne rocheuse 
              d'une hauteur immense, assez étendue pour porter un fortin ..." 
              (Iug. XCII, 5). Il consacre quatre chapitres (Iug. XCII à XCV) au 
              siège de cette forteresse avec de nombreux éléments descriptifs 
              - apport incomparable pour déterminer ce site.             
              Gsell [xvi]  
              reconnaissait que cette forteresse (sur les rives de la Moulouïa) 
              est "fort éloignée des lieux où les Romains avaient combattu 
              et hiverné jusqu'alors", mais il concluait à l'impossibilité 
              de retrouver son emplacement sous prétexte qu'il y a en Afrique 
              beaucoup de tables rocheuses qui répondent à cette description. 
              L'argument n'est certainement pas convaincant, puisque Mercier [xvii]  a tenté de la retrouver et a proposé pour cette 
              "montagne immense" de Salluste, un mamelon situé près 
              de l'oued Sahel (Kabylie, Algérie). Carcopino 
              [xviii] , conscient de l'importance stratégique de cette 
              position, crut reconnaître dans le poste marocain de Taourirt la 
              citadelle numide, mais il juge sa solution assez "aventureuse". 
               Taourirt est 
              très éloigné du champ habituel des opérations des Romains et se 
              trouve à plus de 1500 km de Gafsa (fig. 1), ville que Marius venait 
              d'enlever précédemment (Iug. XCI, 4). Une telle opération n'a pas 
              de sens stratégique et paraît matériellement impossible, même si 
              on suppose une année de campagne de Marius dont Salluste ne dit 
              pas un mot : il n'y a pas de rupture dans son texte entre la prise 
              de Gafsa et l'arrivée près du fleuve Muluccha. Au contraire, l'auteur 
              évoque la connaissance "des malheurs de Capsa" par les 
              habitants des villes enlevées au passage par Marius (Iug. XCII, 
              3). Il serait difficile d'admettre pour l'époque, que les habitants 
              de ces villes, algériennes dans ce cas, soient informés d'événements 
              se déroulant dans le lointain Sud tunisien.             
              Cette expédition lointaine marocaine est une "vraie énigme" 
              pour Syme [xix] 
              , "d'où une double difficulté pour le Muluccha (Moulouïa) 
              avec ni nom, ni indication pour expliquer comment Marius atteignit 
              cette région reculée, et nulle mention de quartier d'hiver entre 
              107 et 106". Ainsi, cette chevauchée lointaine de Marius à 
              travers une "Algérie en rébellion" pour aller prendre 
              cette place forte au Maroc et revenir ensuite sur ses pas, paraissait 
              bien étrange en vérité.             
              Pourtant, dans un ouvrage paru à Constantine en 1950, Berthier et 
              ses collaborateurs 
              [xx]  avaient proposé une solution qui levait ces ambiguïtés. 
              Pour eux, le Muluccha est l'oued Mellègue et la forteresse, un plateau 
              tabulaire, la Kalaat-Senam en Tunisie. Si cette thèse a parfois 
              ébranlé certains 
              [xxi] , elle était rejetée par de nombreux autres auteurs, 
              par exemple Tiffou 
              [xxii] , Julien 
              [xxiii] .             
              Pour tenter de réconcilier deux thèses si contradictoires, une investigation 
              archéologique sur le terrain était souhaitable à Kalaat-Senam en 
              Tunisie mais aussi à Taourirt au Maroc. Ce qui fait dire à Tiffou [xxiv]  que le Muluccha 
              "restera hypothétique, tant qu'on n'aura pas repéré avec certitude 
              l'éminence rocheuse peinte assez précisément par Salluste". 
              Au lieu de cela, le texte de Salluste continue d'être discuté 
              [xxv]  et "certains conçoivent le grave soupçon 
              que l'historien soit victime d'erreur ou de confusion" [xxvi] . Le jugement de Gsell "nous 
              ne tenterons pas, d'après les données de Salluste, de retrouver 
              l'emplacement de ces sites" a influencé à décourager, peut-être, 
              de nouvelles recherches sur le problème.   La légende 
              de Jugurtha.             
              Il existe en Tunisie, près de la frontière algérienne, au sud de 
              la ville du Kef, une montagne  tabulaire remarquable, 
              la Kalaat-Senam, appelée localement "Table de Jugurtha". 
              La tradition orale indigène vivace dans ce pays 
              [xxvii]  rapporte que le roi "Yougourtha" ait 
              livré ici une bataille cruciale. Le capitaine de Vauvineux [xxviii] , un géodésien du service 
              géographique de l'Armée, avait donné une description précise de 
              cette "kalaa qui s'appelle Table de Jugurtha et où la 
              tradition veut que Jugurtha ait caché ses trésors, cherchés en vain 
              par les Romains".              
              Monchicourt [xxix] 
              , un autre géographe, rapportait lui aussi cette légende 
              en précisant que la Table est "le point où le prince numide, 
              pourchassé par Métellus, avait déposé ses femmes et ses trésors". 
              Supposition qu'il trouvait gratuite, puisqu'il s'agit dans le récit 
              de Salluste de la ville de Thala (Iug. LXXV, 1). Cependant, il précisait 
              que la confédération des Hanencha, qui vivait en smala [xxx]  autour de 
              Thala aux 16e -17e siècles, prenait cette 
              kalaa pour refuge et y enfermait leurs richesses en période 
              d'insécurité ; particularité évidente puisque cette forteresse naturelle 
              est proche et bien visible de Thala. Cette coutume indigène est 
              troublante. On serait plutôt tenté de la rapprocher de la fuite 
              nocturne de Jugurtha, fuyant sa ville assiégée par Métellus, en 
              emportant ses enfants et une grande partie de sa fortune (Iug. LXXVI, 
              6), pour les mettre à l'abri dans cette place forte voisine, que 
              Marius, l'année suivante (M. 106, G. 107) 
              [xxxi] , veut enlever à tout prix (Iug. XCII, 6) au retour 
              de son expédition à Capsa (Gafsa qui se situe à 140 kilomètres au 
              sud de Thala).  Pour ce que 
              nous savons, les études ethnologiques sur les Berbères [xxxii]  du Maroc ne 
              signalent pas de telles traditions. Originaire de la région de Kalaat-Senam, 
              nous connaissions la Table de Jugurtha et les propos qui s'y rapportaient. 
              Nous connaissions aussi le fleuve voisin, le Mellègue qui prend 
              sa source dans les Aurès et se jette près d'Utique sous le nom de 
              Medjerda. Son bassin versant est bien plus vaste que celui de la 
              Medjerda qui lui donne son nom. Il couvre une grande partie de l'Algérie 
              orientale et de l'Est tunisien. Orographiquement et géographiquement 
              la région du Mellègue est une zone de transition importante entre 
              les tribus nomades du Sud et celles sédentaires du Tell. Le nom 
              de Mellègue ou Melleg [xxxiii] , dérive du mot berbère Melek 
              ou punique (MLK) qui signifie roi, propriétaire, d'où les transcriptions 
              latines "Malchio, Malchius", et sans doute "Muluccha, 
              Muluchae, Malucha" des diverses versions des textes de Salluste. 
              Sur le plan onomastique, ces termes conviennent mieux que le terme 
              de Muthul proposé par Gsell [xxxiv]  et accepté comme dérivé de 
              ce nom dans la thèse traditionnelle. La Table 
              de Jugurtha.             
              Trois missions franco-tunisiennes se sont rendues à Kalaat-Senam 
              [xxxv]  pour investiguer, puisque aucune recherche n'avait 
              été conduite jusque là. Cette montagne tabulaire domine par sa masse 
              et par son altitude (1271 m) les Hautes Terres environnantes de 
              près de 600 m (fig. 2), et ses falaises calcaires surmontent de 
              plus de 100 mètres un immense cône d'éboulis. Cette mésa quasi ovale 
              couvre une superficie de 80 ha. "Assez étendue pour porter 
              un fortin, auquel on n'accédait que par un sentier étroit" 
              (Iug. XCII, 5) dit Salluste. Les vestiges d'une menaa 
              [xxxvi] , occupée par les Berbères jusqu'en 1910, 
              en couvrent environ 4 ha, aux quels on n'accède que par "un 
              sentier fort étroit et bordé de précipices"  Ce sentier, 
              taillé dans le roc, serpente à flanc de paroi selon des chicanes 
              habilement aménagées, il est protégé à mi-hauteur par une tour massive 
              byzantine, fermée par une lourde porte. Cette porte "qui ferme 
              tous les soirs l'accès de la montagne" précise le capitaine 
              de Vauvineux, n'existe plus de nos jours. Ce sentier escalier (fig. 
              3) d'une hauteur de 40 m constitue un système défensif efficace 
              qui permet à peine le passage de deux hommes de front ou d'un cheval. 
              Des petites cavités ont été taillées dans les marches  polies comme 
              du marbre par l'usure des passages pour permettre à l'animal de 
              poser ses sabots. On monte l'escalier, qui vient d'être réaménagé, 
              "sous la menace des blocs de pierre, qui pourraient se détacher 
              de la falaise, s'il s'agissait d'une attaque" [xxxvii] . A la sortie de l'escalier, 
              on débouche sur une esplanade, libre de nos jours mais "entourée 
              de parapets qui permettent de concentrer des feux de mousqueterie 
              sur la tête de l'escalier", remarquait encore le capitaine 
              de Vauvineux en 1896. Ensuite, on rentre immédiatement dans l'ancienne 
              menaa par un sentier puis une ruelle bordée de pierres bien 
              appareillées. (Iug.XCII, 8). 
L'escalier conduisant au fortin. 
             
              La Table de Jugurtha n'est accessible que par sa face nord. Le reste 
              est un vaste cône, peu praticable, encombré d'éboulis et de blocs 
              énormes détachés des falaises impressionnantes. On accède au pied 
              de l'escalier par une longue esplanade, bordée du côté nord d'un 
              talus rocheux et de l'autre par les parois verticales, parfois surplombantes. 
              On se trouve alors directement sous les traits des archers ou des 
              frondeurs (Iug. XCIV, 3) placés sur ces hauteurs, et on comprend 
              qu'il fut difficile de manœuvrer des engins de siège qui se retrouvent 
              immédiatement sous le feu ou les coups de pierres (Iug. XCII, 8).             
              "Cette place renfermait les trésors du roi, elle était pourvue 
              d'hommes et d'armes en suffisance, d'une grande provision de blé 
              et d'une réserve d'eau vive" (Iug. XCII, 7). Dans la menaa, 
              on a retrouvé de nombreux silos à grains [xxxviii]  (fig. 6), 
              taillés à même le roc, profonds et refermés par une dalle de pierre 
              recouverte elle-même de terre, parfaitement étanches à la pluie 
              et discrets aux regards. Selon Monchicourt, les indigènes renouvelaient 
              chaque année par moitié leurs provisions de blé [xxxix] . La tradition rapportée par 
              de Vauvineux et qui nous a été aussi signalée prétend que Jugurtha 
              aurait caché ses trésors dans ces silos. Nous avons dénombré aussi 
              dix-neuf réservoirs d'eau (fig. 6) parfaitement taillés dans la 
              structure en lapiaz. Ces citernes d'une contenance de 440 m³ environ 
              ne sont pas romaines, comme le laisse entendre l'enquête sur les 
              "Installations Hydrauliques Romaines en Tunisie" qui, 
              incidemment, n'en a relevé que cinq 
              [xl] .  En 
              effet, en effectuant un calcul corrélatif sur les nombreuses mesures 
              des dimensions des bassins, on arrive à une valeur de 0,53 m 
              [xli] . Cette grandeur correspond à la coudée punique, 
              elle n'est ni romaine, ni arabe, mais plutôt punique. D'autres réservoirs 
              (redirs) de ce type, taillés dans le roc, ont été signalés 
              dans les montagnes voisines par les officiers topographes. Par ailleurs, 
              des monnaies numides et romaines ont été trouvées sur la Table [xlii] . Cette place forte était inconstestablement 
              numide. Tous 
              les éléments descriptifs de Salluste s'appliquent parfaitement à 
              cette "montagne rocheuse, d'une hauteur immense". 
            
            Fig. 
              7 : Plan du castellum.             
              Le stratagème du Ligure. Il suffit d'être 
              au pied de cette formidable forteresse naturelle pour comprendre 
              pourquoi "Marius avait perdu bien des jours et des peines, 
              et se demandait, non sans angoisse, s'il abandonnerait l'entreprise" 
              (Iug. XCIII, 2). Salluste nous rapporte ici l'anecdote du Ligure, 
              amateur d'escargots, que Frontin reprit [xliii]  dans ses Stratagèmes. 
              Il découvre, par hasard, une voie cachée qui permet d'accéder sans 
              encombres à la plate-forme de la citadelle (in castelli planitiem, 
              Iug. XCIII, 4), par laquelle il conduira ensuite un commando qui 
              prendra les défenseurs à revers (Iug. XCIV)              
              Trouver la faille où le Ligure s'était glissé ne fut pas une tâche 
              facile, même pour le guide de haute montagne qui faisait partie 
              de l'équipe puisqu'il était question de refaire une voie d'escalade 
              historique [xliv] , car la kalaa 
              est une montagne calcaire aux parois abruptes sur toute sa périphérie. 
              A l'extrémité nord-ouest de la Table s'ouvrent trois crevasses (fig. 
              6) dont une très profonde, "mais qui paraît n'aboutir qu'à 
              un escarpement en surplomb" 
              [xlv] . Cet escarpement a été escaladé, mais une redescente 
              comme fit l'auxiliaire ligure, est impossible. La voie du Ligure 
              a été découverte dans l'angle nord-est du plateau (fig. 5), derrière 
              de gros monolithes (les Fahouls). On y accède par un couloir 
              humide où les escargots abondent [xlvi] . On franchit ensuite une niche, 
              puis on escalade la fissure d'une diaclase en s'aidant des aspérités 
              rocheuses et en s'accrochant aux racines d'un lierre persistant 
              (Iug. XCIII, 4). On débouche sur le plateau, à l'abri des regards 
              des défenseurs postés au-dessus de l'escalier que l'on aperçoit 
              au loin. Par une marche descendante en écharpe au milieu des replis 
              du terrain, on aboutit enfin sur les arrières du village. La descente 
              de la faille par la même voie a été vérifiée. Une réponse au stratagème 
              du Ligure était trouvée.             
              "Sorti du camp pour la corvée d'eau, sur le flanc du fortin 
              opposé à celui de l'attaque" (Iug. XCIII, 3) rapporte Salluste. 
              Le passage se situe bien à l'entrée de l'esplanade des combats, 
              à l'opposé de l'escalier (fig. 6), et près du chemin qui conduit 
              à deux sources voisines : l'Aïn Jénène et l'Aïn Arsaz (fig. 7) aménagées 
              de longue date. Un bassin recueille les eaux de la première dans 
              lequel les animaux domestiques viennent s'abreuver. La seconde est 
              canalisée par de gros blocs taillés (probablement romains). La largeur 
              du canal indique qu'elle devait être abondante. Actuellement, son 
              eau resurgit quelques mètres plus bas dans une citerne moderne. 
              Les bergers et les nomades de Gafsa qui transhument ici encore de 
              nos jours [xlvii]  viennent s'y 
              approvisionner. Un castra 
              possible.             
              Toutes les terrasses qui donnent accès à l'esplanade où étaient 
              déployés les mantelets et autres engins de siège (Iug. XCII, 8 et 
              XCIV, 4) ont été explorées. La seule aménageable se situe entre 
              les  
                sources et le 
              couloir du Ligure. L'indication de Salluste "sorti du camp 
              (castra) pour une corvée d'eau" (Iug XCIII, 2) est précieuse 
              et le manège du Ligure est vérifié par la topographie des lieux 
              (fig. 7).             
              Le terrain est plat, un quasi rectangle de 80 m sur 90 m, orienté 
              strictement nord-sud (fig. 8). Sa partie sud, traversée par un sentier 
              bordé de pierres sèches qui descend aux sources, se termine dans 
              un petit vallon. Ce même sentier remonte, passe devant la faille 
              du Ligure et rejoint l'escalier. Cette terrasse est bordée à l'est 
              par une croupe portant des soubassements de constructions (romaines 
              ?) et un pressoir à huile [xlviii]  taillé dans 
              un gros bloc calcaire. A l'ouest, trois talus successifs de 30 m 
              de large environ sur une longueur de 160 m environ, présentent un 
              léger escarpement avec contre-pente faiblement marquée. Le tracé 
              en crémaillère est atypique, étranger aux habitudes locales des 
              champs en terrasse et non imposé par le relief. La partie nord rectiligne 
              de la plate forme est bien marquée. Elle se prolonge d'une partie 
              plate plus confuse. L'organisation de l'espace, adaptée au terrain, 
              est conforme aux indications de Polybe 
              [xlix]  (fig. 9). La superficie des terrasses et de ses 
              extensions (2,3 ha, fig. 7) est comparable à celle d'un camp de 
              Masada [l] .              
              Cet emplacement n'est pas très étendu, mais il est placé de façon 
              stratégique pour un camp de commandement : près des sources que 
              l'on peut surveiller, avec un accès direct à l'esplanade des combats, 
              hors de portée de tous projectiles lancés depuis le haut des falaises. 
              Il est établi à mi-pente, sa façade ouverte aux seules pistes d'accès 
              des vallons inférieurs, a une pente suffisamment escarpée, impraticable 
              à une charge de cavalerie. Au sud, la piste qui contourne le grand 
              éperon de la Table, passe par un collet où se trouvent de nombreux 
              dolmens. Ce collet stratégique doit être nécessairement gardé. Deux 
              blocs calcaires excavés en forme d'abri, le dar el aris et 
              le dar el aroussa (fig. 6) peuvent servir de postes de guet, 
              comme le remarquait Monchicourt 
              [li] . Au sud, l'arrivée depuis Aïn Senam (anciennes 
              mines) devait être aussi surveillées. Ces postes complètent ainsi 
              le système défensif (fig. 7).             
              Les contraintes du terrain sont impératives. Marius était tenu de 
              placer ses troupes aux points stratégiques : la sortie du castellum, 
              les sources, les emplacements névralgiques pour éviter toute surprise. 
              A ne pas en douter, un détachement permanent devait veiller au pied 
              de l'escalier pour empêcher toute sortie des Numides. La bordure 
              extrême de l'esplanade et la petite crête rocheuse nord sont hors 
              de portée des frondes et des flèches. Elles peuvent servir de zone 
              de stationnement et de préparation des engins de siège qu'on approchait 
              ensuite au pied de l'escalier (fig. 7). Le nombre de 
              légions dont disposait Marius n'est pas formellement indiqué par 
              Salluste. Sa troupe ne devait pas être très nombreuse, Salluste 
              parle de centuries et d'escadrons (Iug. XCI, 1), puisqu'il revenait 
              d'un raid en plein pays désertique. Salluste souligne les difficultés 
              logistiques posés et le problème du transport de l'eau (Iug. XCI). 
              On sait que ces difficultés croissent de façon exponentielle en 
              fonction de l'importance numérique des soldats [lii] . Selon cette 
              importance, les troupes peuvent être encore disposées en contrebas 
              sur de vastes champs, en aval les deux sources. Comme le problème 
              de l'eau est crucial en ce pays aride, les renforts amenés par Sulla 
              à la fin du siège (Iug. XCV, 1) pouvaient trouver à l'abondante 
              source d'Aïn Senam l'eau indispensable à ses chevaux. Elle se situe 
              à l'opposé de la montagne (fig. 6 et 7). Ce site est 
              archéologiquement vierge et semble assez bien conservé, car éloigné 
              de toutes zones habitables. Ces recherches sont nécessaires, car 
              la Table de Jugurtha est un site numide exceptionnel ; la présence 
              de nombreux dolmens (senam [liii] ), de mégalithes, d'escargotières néolithiques [liv] , de blocs sur 
              lesquels sont gravés un cercle inscrit dans un triangle (signes 
              de Baâl et Tanit ?), d'une nécropole berbère montrerait qu'il s'agirait 
              d'une area sacra [lv] . Des recherches 
              prometteuses sur ce site viennent d'être engagées par M. M'Charek 
              [lvi]  qui voit dans la "Bulla mensa" 
              de Ptolémée, cette Table de Jugurtha "où certains épisodes 
              de la guerre de Jugurtha ont pu avoir lieu".  En conclusion, 
              nous suggérons que l'éminence rocheuse peinte par Salluste est la 
              Table de Jugurtha. Par conséquent, le fleuve Muluccha ne peut pas 
              être la Moulouïa marocaine, mais le Melleg.  
 Fig.9 
              : vue aérienne sur le camp et les sources.Le Melleg, une rivière frontière historique 
              Cette rivière 
              servait de frontière entre les deux royaumes de Numidie et de Maurétanie 
              (Iug. XIX, 7). Apulée de Madaure [lvii]  (M'Darouch dans la vallée du Melleg) déclare 
              aussi que sa patrie est située "Numidiae et Gaetuliae in 
              ipso confinio". Cette frontière historique a été bornée 
              en 104-105 par le légat L. Minicius Natalis (CIL 2080 à Madaure 
              et 2828 au sud de Madaure) et confirmée ensuite par le légat L. 
              Strabo Nummus en 116 (CIL 2829 au sud de Madaure) afin de délimiter 
              le territoire des Musulames. D'autres bornes de délimitation se 
              situent près de l'O. Maksouba, un tributaire du Melleg, au sud celles 
              d'Aïn Kemellal (CIL 2988 et 2989) et de Ksar el Boub (CIL 2978), 
              à l'est les bornes du Khanguet Nasser (CIL 2939 et 2939 bis) près 
              d'Ammaedara et dans la commune de Kalaat-Senam (ILT 1653). 
              Enfin la découverte récente au nord de la Table de Jugurtha d'une 
              borne du légat L. Strabo Nummus [lviii]  à henchir 
              El Greya , près de l'O. bou Salah, un autre tributaire du Melleg 
              vient de confirmer cette frontière. Ces bornes de limitation circonscrient 
              parfaitement le territoire des Musulames au bassin supérieur de 
              l'O. Melleg [lix] 
              . La lecture des 
              confronts [lx]  de la borne de 
              Kalaat-Senam permettrait de lier ce bornage à la grande centuriation 
              tunisienne [lxi] . Cette grande entreprise de 
              cartographie et d'aménagement du territoire exécutée probablement 
              sous Auguste [lxii]  par la III Legio Augusta 
              qui stationnait à Ammaedara serait une des causes de la révolte 
              de Tacfarinas [lxiii] . Berthier 
              [lxiv]  rappelant que le général des Musulames, Tacfarinas 
              fit alliance avec les Maures "ses voisins" (Maurosque 
              accolas), met ici en évidence leur proximité.  La Maurétanie 
              de Bocchus se situerait donc du côté des Aurès-Némentcha en Algérie, 
              tandis que le royaume de Jugurtha s'étendrait pour sa partie ouest 
              au bassin supérieur de l'O. Melleg, c'est à dire au-delà de l'actuelle 
              frontière tuniso-algérienne.  La bataille 
              des deux collines.             
              Arrivé de Rome, Sulla rejoint donc Marius dans son camp avec une 
              nombreuse cavalerie (Iug. XCV, 1). Notons, toujours selon Salluste, 
              qu'il n'avait ni expérience de la guerre, ni connaissance du pays 
              (Iug. XCVI, 1). Sulla a débarqué à Utique, le port naturel de sa 
              province d'Afrique, cité plusieurs fois par Salluste (Iug. XXVI, 
              5; LXIII, 1; LXXXVI, 4; CIV, 1). La traversée de la quasi-totalité 
              de l'Afrique du Nord pour se rendre jusqu'aux bords du Muluccha 
              semble peu vraisemblable pour un général peu expérimenté. Par contre 
              pour se rendre à la Table de Jugurtha, la route connue et gardée 
              par les Romains, passe par Larès. Larès où Marius avait laissé en 
              garnison son lieutenant A. Manlius avec son infanterie légère (Iug. 
              XC, 2). Larès n'est qu'à trois jours de marche de la Kalaat-Senam 
              (fig. 10) et nous savons que Manlius participe avec Sulla aux combats 
              qui vont suivre (Iug. C, 2) [lxv] . 
                
              Tandis que Marius est occupé devant la Kalaat-Senam, Jugurtha s'allie 
              avec son beau-père Bocchus (Iug. XCVII, 1). Une fois les cavaliers 
              numides et maures réunis, les rois attendent que les Romains sortent 
              de leurs camps fortifiés. "Ils marchent sur Marius qui déjà 
              regagnait ses quartiers d'hiver et tombent sur lui  au moment où 
              il restait à peine la dixième partie du jour" (Iug. XCVII, 
              3). C'est l'embuscade, tactique favorite de Jugurtha et des Numides. 
              Cette bataille est essentielle, car elle situe Cirta, la capitale 
              numide. Gsell en est conscient et précise "deux batailles, 
              séparées par un intervalle de deux jours, et dont la seconde fut 
              livrée à peu de distance de Cirta" [lxvi] . Il reste cependant vague sur leurs emplacements 
              : quelque part, au sud d'Alger près de la chaîne des Bibans. Pour 
              sauver ses troupes, Marius "s'empare de deux collines proches 
              l'une de l'autre, dont l'une, trop petite pour asseoir un camp, 
              possédait une source abondante, et l'autre offrait une position 
              avantageuse pour camper, car étant fort escarpée en grande partie, 
              elle exigeait peu de retranchements" (Iug. XCVIII, 3).  Deux hypothèses 
              sont à étudier et pourraient répondre à la description de ces deux 
              collines. L'hypothèse développait par Berthier dans son ouvrage 
              La Numidie, qui établit un parallèle intéressant entre la 
              description du relief des Jérissa ("la double Zrissa") 
              fait par Monchicourt et le texte de Salluste. Ces deux collines 
              se trouvent sur un axe Table de Jugurtha / Ebba Ksour/ Larès puis 
              Le Kef ou Utique [lxvii] . Elles répondent 
              aux problèmes stratégiques de Marius en route vers ses "quartiers 
              d'hiver" (Iug. XCVII, 3).  La seconde hypothèse, 
              les collines de Kalaa Jerda situées à 20 km [lxviii]  au sud-est 
              de la Table de Jugurtha et avant les Jérissa, près du carrefour 
              des voies en provenance de Thala et d'Ammaedara, en direction 
              du Kef ou de Larès (fig. 10). Entre ces deux collines passe l'ancienne 
              voie romaine Carthage-Haïdra (fig. 11). Haïdra (Ammaedara), 
              le futur camp de la III legio Augusta qui sera chargée plus 
              tard de contrôler cette région frontalière et ses tribus turbulentes [lxix] , n'est qu'à 
              16 kilomètres.             
              La petite Jerda SAEK (763 m), trop petite pour asseoir un camp, 
              avec ses puits (Henchir Henntaïa) et surtout la rivière pérenne, 
              l'O. el Mrhassel (fig. 11). Elle permettrait d'abreuver une forte 
              cavalerie, comme la source abondante gardée la nuit par Sulla (Iug. 
              XCVIII, 4). La seconde colline, la grande Kalaat es Sif (809 m) 
              avec sa face sud élevée et escarpée (praeceps) et son versant 
              nord, accessible qu'à pied et impossible à la cavalerie, peut offrir 
              l'emplacement d'un campement. En effet, il y a sur ce versant, un 
              replat à mi-pente, entre deux ravins, qui domine le collet que franchit 
              l'ancienne voie romaine ; il a une superficie d'environ 2,5 ha (fig.12). 
              Sur la partie basse, la plus plane, on a noté une sorte d'enclos 
              fait de pierres roulées bien alignées, épousant par endroits les 
              contours des deux ravins qui le bordent à l'est et à l'ouest. On 
              y accède par un petit ressaut rocheux. L'ensemble du replat est 
              ainsi protégé par des obstacles naturels infranchissables aux chevaux. 
              Cet enclos n'est pas un champ, ce versant est aride et non cultivé, 
              bien que l'on retrouve quelques redjems [lxx] . Ce ne semble pas être un enclos à moutons, 
              bien que l'on trouve quelques graffitis plus récents représentant 
              des chameaux et des personnages gravés sur des dalles alentours. 
              On y a retrouvé quelques tessons de vieilles poteries berbères. 
              Les défenses sont naturelles, pourtant Salluste parle de portes 
              (portis, Iug. XCIX, 1).  Fig 
              12. Les deux collinesde Kalaa Jerda : au 
              1er. plan, un campement possible pour Marius au 
              2èm. plan, tranchant dans le ciel la Table de Jugurtha.    Quelle que soit 
              l'importance numérique de l'infanterie romaine, le flanc nord de 
              la grande Kalaat es Sif est suffisamment étendu pour accueillir 
              deux légions. Descriptivement, tactiquement et statégiquement ces 
              deux collines de Jerda peuvent convenir à la narration de Salluste 
              (fig. 11). Toujours dans le voisinage et à une journée de marche, 
              le jebel Bou el Hanèche ne répond pas au critère des duos collis 
              et nous avons vérifié que son flanc nord ne se prête pas aux 
              différentes opérations décrites par Salluste.  Fig. 
              10 : carte des opérations de la campagne de Marius. La bataille 
              près de Cirta.             
              Après cette alerte qui avait été un avertissement, Marius, prudent, 
              poursuit sa route en direction de Cirta en bataillon carré 
              (Iug. C, 1). Au bout du quatrième jour, une bataille terrible 
              [lxxi]  s'engage dans une plaine, non loin de Cirta 
              (Iug. CI, 1), entre les armées royales renforcées par l'infanterie 
              de Volux, et Marius secondé par son lieutenant Manlius. Dans l'intervalle 
              de deux jours qui séparent ces combats, Marius ne peut pas se rendre 
              à Cirta-Constantine en une marche lente et prudente. Constantine 
              est à plus de 270 km dans la direction opposée des quartiers d'hiver 
              habituels des Romains (Iug. XCVII, 3 et C, 1). Constantine est de 
              l'autre côté de la frontière Melleg. Marius ne franchira pas cette 
              frontière pour se rendre à Constantine. Par contre, la cité du Kef 
              n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres, soit deux ou trois jours 
              de marche, de Jerissa ou de Kalaa Jerda.             
              La seule "vaste plaine" (campis) que l'on rencontre 
              après une traversée d'une zone de monts et de vallées, se situe 
              à la sortie des coteaux de Kalaat Soltane (fig. 13). Des remparts 
              du Kef, elle est parfaitement visible. Les récits de l'expédition 
              de Capsa, de l'attaque du fortin du Muluccha, de la bataille 
              des deux collines et la bataille finale près de Cirta s'enchaînent 
              parfaitement. Et, dans cet enchaînement, Marius est qualifié à chaque 
              fois de consul. Il n'y a pas d'interruption dans sa campagne qui 
              le conduit de Capsa à Cirta. Cirta Regia.             
              Constantine est connu par ses profonds canyons du Rummel. Elle ne 
              pourrait être entourée d'un fossé et d'une palissade (uallo atque 
              fossa moenia circumdat) (Iug. XXI, 3). La topographie des lieux 
              donnée par Salluste ne convient pas à Constantine, ce qui a fait 
              dire à Gsell que Salluste "ne connaissait pas Cirta (aujourd'hui 
              Constantine)" 
              [lxxii] . Par contre, cette topographie pourrait s'appliquer 
              à la citadelle du Kef (fig. 13). L'argument n'est pas nouveau et 
              largement développé par Berthier 
              [lxxiii] , mais il est majeur pour qui a examiné les 
              deux sites.              
              Enfin, nous ne ferons pas état ici - ce qui serait hors de propos 
              par rapport à l'œuvre de Salluste - des nombreuses épigraphies concernant 
              Cirta-le Kef [lxxiv] 
              . Il a toujours été connu que Cirta était un de ses noms, 
              comme il y avait de nombreuses villes en Afrique du Nord qui portaient 
              le même nom : Hippo, Zama, Leptis, etc. Il 
              faut accepter l'existence de deux Cirta. La Cirta royale deviendra 
              plus tard colonia Cirta Nova Sicca, puis Sicca 
              Veneria, nom donné aussi au Kef par la Table de Peutinger et 
              l'Itinéraire d'Antonin.    Fig 
              13 : La ville du kef, l'ancienne Cirta Regia.             
              Ces documents géographiques, bien que tardifs (IIIe et IVe siècle 
              pour la Table de Peutinger, IIIe pour Antonin) et comportant de 
              graves erreurs 
              [lxxv] , n'en sont pas moins précieux pour qui voulait 
              connaître la géographie de cette Afrique du Nord romaine. Lorsque 
              les Français s'intéressèrent à l'Antiquité de ces pays, la tâche 
              était immense et les spécialistes peu nombreux. Aussi le Ministère 
              de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts chargé des travaux archéologiques, 
              s'adressa au Service Géographique des Armées pour leur venir en 
              aide. Il était demandé, par instructions spéciales 
              [lxxvi]  en 1885, aux officiers topographes qui exploraient 
              le pays, de relever notablement les voies et leurs bornes milliaires, 
              en s'appuyant expressément sur ces documents. Les travaux réalisés 
              par ces officiers topographes sont remarquables. On leur doit nombre 
              de découvertes, de ces villes étapes en particulier. Qu'à l'époque 
              de ces documents géographiques (IIIe et IVe. siècles), Cirta 
              soit Constantine et Sicca Veneria au Kef, n'a rien d'étonnant 
              : tous les archéologues et les officiers 
              [lxxvii]  en étaient convaincus. Mais les cartes 
              qui en ont été déduites manquent parfois de synchronisation des 
              données historiques. Et comme le fait remarquer Salama [lxxviii] , "cet anachronisme 
              est la rançon de la cartographie historique dès que celle-ci se 
              réfère à une période de longue durée". Que penser alors d'une 
              période débordant de la conquête romaine ? On peut alors se demander, 
              comme le souligne Berthier [lxxix] , si la confusion dans la dénomination de Sicca 
              et Cirta Regia ne relèverait pas d'un tel anachronisme. On peut, à juste 
              titre, se poser la question. En effet, pour ses recherches archéologiques 
              le Comité [lxxx] 
               s'appuyait à cette époque, dans un soucis de simplification, 
              sur une Afrique totalement romanisée et tardive. La carte de l'Afrique 
              romaine annexée 
              [lxxxi] , la Table de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin 
              servant de référence à ces conseils souffraient déjà de cette simplification 
              abusive et de ce métachronisme : Cirta est à Constantine 
              et Sicca Veneria au Kef, la Numidie est rejetée dans l'Est 
              algérien et les Musulames dans les Aurès. Ces instructions n'auraient-elles 
              pas abusées certains chercheurs ? Près de quatre siècles se sont 
              écoulés entre cette "Guerre de Jugurtha" et ces données 
              géographiques plus tardives et l'on sait les modifications profondes 
              apportées par Romains dans ces pays. Il serait, peut-être, nécessaire  
              de réexaminer l'état de l'Afrique sur des données historiques plus 
              concomitantes.  Par contre, 
              Salluste est contemporain de ces événements, il connaissait le pays. 
              Les faits rapportés et les descriptions des lieux évoqués précédemment 
              le prouvent. On ne peut pas toujours le soupçonner d'erreur ou de 
              confusions [lxxxii] . Il suffit 
              simplement de monter sur les remparts de la citadelle (byzantine) 
              du Kef pour observer au loin "tranchant sur le reste de la 
              plaine, cette montagne rocheuse d'une hauteur immense, assez étendue 
              pour porter un fortin" (Iug. XCII, 5). Cette Table de Jugurtha 
              qui identifie le Muluccha-Melleg, frontière des deux royaumes, confirme, 
              s'il le fallait, la Cirta royale. La bataille 
              du Muthul.                         
              Puisque le Melleg est le Muluccha, quel est donc ce fleuve appelé 
              Muthul par Salluste ? Lors de sa première campagne en 108 
              en Afrique, Métellus mène une bataille vigoureuse avec son adjoint 
              Marius contre Jugurtha et les éléphants de Bomilcar près du Muthul. 
              Voici comment Salluste décrit les lieux : "Dans cette partie 
              de la Numidie qu'Adherbal avait eue en partage, coule un fleuve 
              appelé Muthul, dont la source est au midi; à environ vingt mille 
              pas de là [lxxxiii] 
              , se trouvait en ligne parallèle au fleuve une chaîne 
              de montagnes naturellement stérile, et que les hommes ont laissé 
              inculte ; du centre se détachait une sorte d'éperon, s'étendant 
              à perte de vue, et revêtu d'oliviers sauvages, de myrtes, et autres 
              espèces qui poussent dans un terrain sec et sablonneux. Quant à 
              la plaine située entre la montagne et le Muthul, elle était désertique 
              faute d'eau, sauf dans la partie voisine du fleuve ; celle-ci plantée 
              d'arbustes, était fréquentée par des cultivateurs et le bétail (Iug. 
              XLVIII, 3 et 4 ). Fig. 
              14 : le jebel Nasseur Allah depuis l'O. Tessa (Muthul)                
              La question de savoir quelle rivière se nommait Muthul a beaucoup 
              été discutée et plusieurs suggestions pour l'identifier ont été 
              faites. Gsell, Carcopino, Van Oothegen 
              [lxxxiv]  ont cru reconnaître l'O. Melleg, d'autres l'O. 
              Mafragh, ou l'O. Seybouse en Algérie, la Siliana et même la Medjerda 
              en Tunisie [lxxxv] 
              . Pour rendre compatible la version du Melleg avec le 
              texte de Salluste, Gsell 
              [lxxxvi]  rend fautif l'auteur ou le copiste sur la distance 
              de "vingt milles". A notre avis, Ch. Saumagne [lxxxvii]  qui connaissait particulièrement 
              le pays a proposé la solution qui réponde au texte sans le besoin 
              de correction : c'est l'O. Tessa, un autre affluent de la Medjerda.             
              Le Jebel Gorah, parallèle à l'O. Tessa, se trouve à environ 30 km 
              [lxxxviii]  et l'éperon qui s'étend perpendiculairement 
              au fleuve, recouvert de lentisques et de zabbous 
              [lxxxix] , où Bomilcar attend avec ses éléphants 
              (Iug. XLVIII à LII) est le Jebel Nasseur Allah (fig. 14). La plaine, 
              en bordure du fleuve, où Rutilius établit un camp, serait la "plaine, 
              en forme de tête de vipère, qui se termine au Pont Romain qui a 
              une grosse importance stratégique" 
              [xc] . Saumagne pense que Métellus, arrivant de Vaga 
              (Béja), a franchit le col de Sidi Rhazouane où l'embuscade était 
              tendue par les Numides. A notre avis, le couloir de Bordj-Messaoudi, 
              entre le Jebel Rhazouane et le Bou-Kalil, par où passe l'ancienne 
              voie romaine qui mène au Kalakh, la plaine en bordure de l'O. Tessa 
              (fig. 15), conviendrait aussi au passage de l'armée romaine. Dans 
              ces deux versions, la topographie des lieux se prête bien aux manœuvres 
              des deux armées (fig. 15).             
              Dans ce cas, le "flumen oriens a meridie, nomine Muthul" 
              est l'O. Tessa, et comme le souligne Saumagne, "il est inadmissible 
              que Métellus fonce aveuglément vers Cirta (Constantine),...il 
              s'engage sur le plus direct des chemins qui conduisent vers Sicca 
              (Le Kef)" [xci] . C'est bien au Kef-Cirta que Métellus se rendait 
              et non pas à Constantine.   Conclusions.                         
              De nouvelles prospections ont été engagées en Tunisie en rapport  
              avec le Bellum Iugurthinum. Ces travaux, conduits sur le 
              terrain par trois missions franco-tunisiennes avec l'aide de la 
              section archéologie de l'ASC du CNES, apportent des éléments nouveaux 
              sur la géographie de l'ancienne Numidie. Les éléments matériels 
              apportés ici permettent d'identifier la Table de Jugurtha avec le 
              castellum, si minutieusement décrit par Salluste. Cette proposition  
              que les brigades topographiques avaient faites en leur temps et 
              reprise par Berthier et ses collaborateurs [xcii] , n'a trouvé que peu de partisans [xciii] . Ceci est surprenant puisque 
              les opinions contraires n'offrent, en regard de cette Table de Jugurtha, 
              aucun site digne de reconnaissance archéologique et ne s'appuient 
              pas sur des réalités ethno-géographiques. Il faut convenir que le 
              fleuve Muluccha-Melleg n'est plus hypothétique, mais bien une réalité 
              historique.             
              La reconnaissance des deux collines où Marius échappe à un désastre 
              confirme qu'il se rendait au Kef. De la même façon que Saumagne, 
              nous pensons avoir identifié le Muthul avec l'O. Tessa, et 
              comme lui reconnu que la ville du Kef était l'objectif des armées 
              romaines (fig. 16 ). La thèse de Berthier s'en trouve ainsi renforcée. 
              Cirta Regia, la future Colonia Cirta Nova Sicca, cité 
              dans laquelle Salluste trouva matière pour rédiger son Bellum 
              Iugurthinum, n'est pas autre chose que la ville du Kef. Cependant 
              d'autres sites historiques évoqués par Salluste restent encore incertains. 
              Et, Sicca, cette bourgade céréalière près de Zama, 
              n'est pas la moindre de ces interrogations. Les recherches devraient 
              donc se poursuivre.             
              En dépit de quelques avancées récentes, les études romano-africaines 
              sur ce sujet restent, à certains égards, notablement sous-développées, 
              comme le font remarquer Mattingly et Hitchner [xciv] . Notre souhait est que les 
              résultats préliminaires (fig. 17) présentés ici encouragent les 
              archéologues et les historiens [xcv]  à ouvrir les 
              horizons de leurs recherches. La Table de Jugurtha, haut-lieu berbère 
              exceptionnel, mérite aussi à ce titre le détachement d'une mission 
              archéologique. Les 
              Rédacteurs Fig. 
              16 : Carte de la Numidie au moment de la conquête romaine (2èm. 
              s. av. J.-C.) Post Scriptum.
 Hommage 
              à M. André Berthier  
                            
              Correspondant de l'Institut de France, Officier de la Légion 
              d'Honneur, Médaille militaire, Croix de guerre 1939-1945, Commandeur 
              de l'Ordre National du Mérite, Commandeur de l'Ordre des Arts & 
              Lettres, Officier de l'Ordre des Palmes académiques, André Berthier 
              fut conservateur des archives de l'Est algérien, directeur de la 
              circonscription archéologique et du Musée de Constantine, où il 
              resta en poste de 1932 à 1973. A ce titre, André Berthier connaissait 
              parfaitement ce pays et hautement qualifié pour aborder l'histoire 
              de l'Afrique du Nord.  Son œuvre archéologique 
              est considérable. On lui doit notamment, de 1941 à 1973, l'exhumation 
              systématique de la montagne de Tiddis. Cette entreprise de longue 
              haleine aboutira en 2000 à la publication par l'Institut de France 
              de son dernier ouvrage : Tiddis, cité antique de Numidie 
              (collection Mémoires de l'Académie des Inscriptions & Belles-lettres), 
              qui couronne la longue vie d'un grand chercheur. Parmi ses œuvres 
              africaines, citons : Les vestiges du Christianisme antique dans 
              la Numidie centrale, Alger, 1942 ; L'Algérie et son 
              passé, Paris, 1951 ; Le "Bellum Jugurthinum" 
              de Salluste et le problème de Cirta, Constantine, 1950 
              ; Le sanctuaire punique d'El Hofra à Constantine, Paris, 
              1955 ; Tiddis, antique Castellum Tidditanorum, Alger, 
              1972 & 1991 ; Constantine, Toulouse, 1965 ; et 
              surtout  La Numidie, Rome et le Maghreb, Paris, 
              1981. La thèse d'André 
              Berthier concernant la Numidie refonde l'histoire entière de l'Afrique 
              du Nord. Nourrie par une profonde intuition, un bon sens jamais 
              en défaut et une connaissance lentement mûrie du pays et de sscoutumes, 
              elle va à l'encontre des idées dominantes de l'époque et de la version 
              traditionnellement admise, ce qui valut immédiatement à son auteur 
              bien des inimitiés dans le monde de l'archéologie officielle. Avec 
              une probité intellectuelle exemplaire pourtant, il n'avait pas hésité 
              à remettre en cause des vérités enseignées ou des faits semblant 
              acquis de nos jours encore. L'histoire traditionnelle 
              de l'Afrique du Nord, que les premiers archéologues tentaient de 
              déchiffrer dans un contexte d'une France colonisatrice et paternaliste, 
              lui avait été enseignée à lui aussi... Ne parlait-il pas, en 1938, 
              dans sa conférence devant la Société de Géographie de Marseille 
              de "l'antique Cirta, l'ancienne capitale de la Numidie" 
              à propos de Constantine dont Ernest Mercier, à qui il rendait hommage, 
              avait été le premier historien ! Cela se passait dans les premières 
              années de sa longue carrière en Algérie. Il dira plus tard, dans 
              son introduction à la Numidie, son mûrissement continu, ce lent 
              travail d'approfondissement de la connaissance du pays, et sa surprise 
              de constater combien cette Numidie si différente de celle décrite 
              et comprise par ses contemporains. Il évoquera 
              un jour devant moi en toute simplicité, lors de nos premiers entretiens 
              puisque j'étais des mines de l'Ouenza et que je m'intéressais à 
              la Table de Jugurtha, son premier voyage aux mines du Kouif et sa 
              rencontre avec Alexis Truillot. Rencontre fondamentale, rapportée 
              dans La Numidie, et qui orientera son œuvre. Alors qu'ils 
              étaient face à la Table de Jugurtha, cette "montagne rocheuse 
              d'une hauteur immense, tranchant sur le reste de la plaine", 
              son ami lui rappela les hauts faits d'armes de Marius rapportés 
              par Salluste dans sa "Guerre de Jugurtha" pour conclure 
              sur la Muluccha, frontière tant recherchée, ne pouvait être que 
              le Melleg qui coule tout près, et non la rivière marocaine enseignée 
              dans les manuels d'histoire. A partir de 
              réflexions de bon sens étayées sur la géographie du pays, André 
              Berthier a repensé l'ensemble de la question, recherché de façon 
              méthodique dans les textes antiques et l'archéologie, puis développé 
              par un faisceau d'arguments solides, une thèse cohérente et logique. 
              Mais, comme l'écrit l'abbé Wartelle dans sa préface : "Il est 
              plus difficile de faire admettre une vérité que de la découvrir". 
              On remarquera qu'il est encore plus difficile pour certains d'admettre 
              leur erreur. André Berthier 
              (comme nous-même) jugeait  remarquables les travaux de synthèse 
              de ses illustres contemporains : Stéphane Gsell et particulièrement 
              Jérôme Carcopino. Il me fit, touchant ce dernier, en novembre 1995, 
              une confidence que je me devais de taire de son vivant. Jérôme Carcopino 
              avait déclaté à André Berthier, en 1950, au Prieuré de La Ferté 
              sur Aube, au cours d'une de leurs rencontres :             
              -"Je ne vous donne pas mon adhésion, mais je vous donne mieux 
              que cela, car je suis hésitant. C'est une victoire pour vous. Ne 
              tenez plus aucun compte des lettres que je vous ai écrites auparavant. 
              Cela ferait une belle thèse." Thèse sur la Numidie qui sera 
              ensuite écrite par André Berthier.             
              -"Pourquoi hésitation ?", me dit-il et il poursuivit : 
                           
              -"Il avait rencontré Bernard Simiaux de la Revue "Homme 
              et Monde", lequel venait de lire l'article de René Louis 
              sur Cirta Regia".             
              -"Vous en faites de belles, - dit-il à mon ami -Savez-vous 
              que, si Berthier a raison, tout ce qu'on a écrit jusqu'ici sur l'Afrique 
              du Nord serait faux". L'adhésion de 
              Jérôme Carcopino aux idées d'André Berthier date maintenant d'un 
              demi-siècle et on continue de professer dans nos institutions l'absurdité 
              d'une Numidie monolithique et démesurée, s'étendant depuis les Syrtes 
              jusqu'à la Moulouïa marocaine. Notre recherche et notre enseignement 
              universitaire à ce propos souffriraient-ils d'un strabisme cruel 
              ?  La réponse me 
              fut donnée lors d'une conférence sur nos recherches sur la Table 
              de Jugurtha par un professeur d'université : "Vous avez 
              raison sur la Numidie" me dit-il, et d'enchaîner…"Mais 
              je ne puis vous aider".  Cette confidence 
              comprenait deux vérités : la première encourageante que la thèse 
              d'André Berthier est incontestable, ce qui nous paraissait logique 
              ; la seconde plus subtile qu'on ne s'attaque pas à un dogme. Je 
              compris alors les lourds et permanents silences qui pesaient sur 
              sa théorie et les oppositions sournoises qui entouraient nos travaux. 
              La géographie historique n'est pas une science, elle serait pour 
              certains une religion. La malédiction dont parle l'abbé Wartelle 
              se serait-elle abattue sur cette discipline ? Il n'y a pourtant 
              pas de déshonneur à rectifier une doctrine, si c'est pour faire 
              avancer la science. Souhaitons que cette discipline reparte sur 
              des bases archéologiques plus scientifiques. En attendant, 
              André Berthier a semé et cette semence a déjà germée dans l'esprit 
              et le cœur des jeunes peuples du Maghreb. L.R. 
              Decramer 
 Table 
              des illustrations ****** 1 - Carte de 
              l'Afrique du Nord et de la marche de Marius. 2 - La Table 
              de Jugurtha tranchant sur le reste de la plaine. 3 - L'escalier 
              conduisant au fortin. 4 - Pièce numide 
              retrouvée sur la Table de Jugurtha. 5 - Fissure 
              du stratagème du Ligure. 6 - Vue aérienne 
              de la Table de Jugurtha et de ses principaux sites. 7 - Plan du 
              castellum et emplacement des différents sites. 9 - Vue aérienne 
              sur le camp et les sources. 10 - Carte des 
              opérations de la campagne de Marius. 11 - Vue aérienne 
              des deux collines et ses principaux sites. 12 - Les deux 
              collines de Kalaa Jerda : 1e. plan, un campement possible 
              ; 2e. plan, la Table de Jugurtha.  13 - La ville 
              du Kef, l'ancienne Cirta Regia. 14 - Le jebel 
              Nasseur Allah depuis l'O. Tessa (Muthul). 15 - Carte des 
              manœuvres de Métellus lors de la bataille du Muthul. 16 - Carte de 
              la Numidie au moment de la conquête romaine (2e siècle av. J.-C.). ****** 
 
  
               
                [<-] [i]  Cet article a été initialement 
                  traduit en anglais pour une revue anglo-saxonne. Il n'a pu être 
                  publié. C'est pourquoi, nous proposons de le publier aujourd'hui 
                  en version originale, en hommage à M. André Berthier, en accord 
                  avec ses héritiers.  
                [<-] [ii]  Sallustius. C. Bellum 
                  Iugurthinum. Les Belles Lettres, 1989, traduction utilisée 
                  ici.  
                [<-] [iii]  Mattingly. D.J., Hitchner R. B. Roman Africa : an archaeological 
                  review. The journal of Roman studies, 1995, p. 165-213.  
                [<-] [iv]  Gsell. S. Histoire ancienne 
                  de l'Afrique du Nord, 1927, t. 1 à 7.  
                [<-] [v]  Gsell. S. Histoire ancienne 
                  de l'Afrique du Nord. Les royaumes indigènes, 1927, t. 5, 
                  p. 91-93.  
                [<-] [vi]  Rinn. L. Les royaumes 
                  berbères et la guerre de Jugurtha. Revue Africaine, 1885, 
                  t. 29, p. 76.  
                [<-] [vii]  Poulle. Annuaire de la 
                  société archéologique, 1863, p. 40-42. E. Mercier. Histoire 
                  de l'Afrique septentrionale, 1891, p. 65.  
                [<-] [viii]  Piganiol A. La conquête 
                  romaine, 1940,  p. 371.  Syme. R. Sallust, 1964.  
                [<-] [ix]  Syme R. Salluste. 
                  Traduction  française de P. Robin, 1982, p. 126.  
                [<-] [x]  Desanges J. Utica, Tucca 
                  et la Cirta de Salluste, 1974, p. 143-160.  
                [<-] [xi]  Ernout E. Bellum Iugurthinum. Les Belles Lettres, 1989, 
                  p. 256.  
                [<-] [xii]  Berthier A. La Numidie. 
                  Rome et le Maghreb, 1981, p. 113 -114.  
                [<-] [xiii]  Tucca : Merdja, petite 
                  localité sur l'oued el-Kebir en Kabylie (Algérie). Cette cité 
                  est incertaine, voir Salama. Les voies romaines de l'Afrique 
                  du Nord, 1951, carte au 1/ 1.500.000.  
                [<-] [xiv]  Nicolet C. Rome et la 
                  conquête du monde méditerranéen, 1978, p. 633.  
                [<-] [xv]   Callegarin L. L'Afrique 
                  de Salluste au travers du Bellum Iugurthinum, 1991, mémoire 
                  de l'université de Toulouse.  
                [<-] [xvi]  Mattingly. D.J., Hitchner R. B. Roman Africa : an archaeological 
                  review. The journal of Roman studies, 1995, p. 165-213.  
                [<-] [xvii]  Mercier (Colonel). Bulletin 
                  du C.T.H.S, 1886, p. 475.  
                [<-] [xx]  Berthier A., Juillet J., 
                  Charlier R. Le Bellum Jugurthinum et le problème de Cirta. 
                  RSAC, 1950, t. 67.  
                [<-] [xxi]  Van Ooteghen . J. Caïus Marius, 1964, p. 30-35.  
                [<-] [xxii]  Tiffou E. Salluste 
                  et la géographie. Littérature gréco-romaine et géographie 
                  historique, 1974, p. 151-160.  
                [<-] [xxiii]  Julien Ch. A. Histoire 
                  de l'A.F.N. des origines à la conquête arabe. Ed. remise 
                  à jour par C. Courtois, 1951.  
                [<-] [xxv]  Desanges J. La Cirta 
                  de Salluste et celle de Fronton. Africa Romana, 1986.  
                [<-] [xxvii]  Tradition qui nous avait 
                  été rapportée sur place et que confirmait le capitaine de Vauvineux.  
                [<-] [xxviii]  Decramer L., Ouasli 
                  Ch., Martin A. A propos de la Table de Jugurtha (Tunisie). 
                  IBLA, 1999, t. 62, n°183, p. 15-30). Selon les notes archéologiques 
                  du capitaine de Vauvineux prises au cours d'une mission géodésique 
                  en Algérie et Tunisie. 1896. Archives de l'Institut Géographique 
                  National.  
                [<-] [xxix]  Monchicourt. C. La 
                  région du Haut Tell en Tunisie. Thèse de Doctorat ès Lettres, 
                  1913, p. 417.  
                [<-] [xxx]  smala : ensemble 
                  des équipages et de la maison d'un chef arabe.  
                [<-] [xxxi]  Il y a deux chronologies, 
                  celle de Mommsen (Mommsen. Th. Histoire romaine, t. 1, 
                  Ré-édition 1985) à savoir : campagnes de Metellus 108 et 107, 
                  Marius consul en 107, campagnes de Marius 106 et 105, défilé 
                  triomphal de Marius à Rome janvier 104, et celle de Gsell (Gsell. 
                  S., 1927) qui propose : campagnes de Metellus, 109- 108 ; campagnes 
                  de Marius, 107 -106.  
                [<-] [xxxii]  Camps G. L'origine 
                  des berbères. Les Cahiers du CRESM, 1981. "Une frontière 
                  inexpliquée : la limite de la Berbérie orientale de la protohistoire 
                  au Moyen -Age". Mélanges offerts à Jean Despois, 1973.  
                [<-] [xxxiii]  Les deux orthographes 
                  sont admises. Nous retiendrons ici le nom de Melleg qui est 
                  plus proche de son nom d'origine.  
                [<-] [xxxv]  kalaat : forteresse, 
                  citadelle naturelle chez les indigènes.  
                [<-] [xxxviii]  Decramer L. L'énigme 
                  du castellum de Salluste dans la Guerre de Jugurtha. L'Information 
                  Historique, 1996, n°58, p. 141.  
                [<-] [xli]  Decramer L. Le castellum 
                  de Salluste et la Table de Jugurtha, 1995, rev. archéologique 
                  Sites, n°58-59.  
                [<-] [xlii]   monnaie : 2 unités numides 
                  frappées à Cirta (?) ; 1 pièce numide en l'état fruste 
                  (cheval au revers), 1 sesterce frappé à Rome, AUREL COMMODUS 
                  ; 1 Centeriolis de Constance II (?) ;1 As votif DIVUS AUGUSTUS 
                  frappé sous Tibère ; 1 Follis frappé vers 300 (?) (fig.4).  
                [<-] [xliii]  Frontinus J. The Stratagems. 1969, W. Heineman LTD. London.  
                [<-] [xliv]  Decramer L. Histoire 
                  de l'alpinisme, sur les pas de Jugurtha. La Montagne, 1994, 
                  n°3.  
                [<-] [xlvi]  L'anecdote du Ligure recherchant 
                  des escargots est connue (Iug. XCIII, 3).  
                [<-] [xlvii]  Les nomades du Bled Segui, 
                  qui campaient ces jours-là près de ces sources, nous ont rapporté 
                  leur tradition fort lointaine de nomadisme et leurs droits de 
                  pâturage qui y sont attachés. La piste chamelière qu'ils empruntent 
                  depuis le Sud passe par : El Guettar, Sidi Aïch, Ferriana, Foussana, 
                  Haïdra et la Table de Jugurtha. Cette piste reprend l'itinéraire 
                  de l'ancienne voie romaine d'Asprenas (~14 ap. J.-C.) qui joignait 
                  les "castra hiberna" de la IIIé legio Augusta 
                  à Tacapae.  
                [<-] [xlviii]  On trouve d'autres pressoirs 
                  à huile de ce type dans cette région autrefois plantée d'oliviers. 
                  J.P. Laporte en signale en Kabylie : Fermes, huileries et 
                  pressoirs de grande Kabylie, C.T.H.S., 1985, fasc. 19B, 
                  p. 127-146.  
                [<-] [xlix]  Le Bohec Y. L'armée 
                  romaine. 1989, Pl. XXVII et XXVIII. Polype : Histoire 
                  VI, 26 - 32.  
                [<-] [lii]   Selon l'avis d'un officier 
                  qui connaît le pays.  
                [<-] [liii]  Senam. Sans doute, 
                  l'origine du nom de cette montagne, Kalaat-Senam, bien que ce 
                  ne soit pas le sens proposé par Monchicourt. Revue Tunisienne, 
                  1906,  n°57, p. 213-216. Voir aussi M'Charek.  Kalaat 
                  Senane, une forteresse-refuge de l'Antiquité aux temps modernes. 
                  Actes du colloque sur l'histoire et la civilisation du Maghreb, 
                  oct. 1999.  
                [<-] [liv]  A notre connaissance, ces 
                  escargotières n'ont jamais été signalées. Deux ont été reconnues 
                  près des blocs creusés de dar el aris et de dar el 
                  aroussa.  
                [<-] [lv]  Une autre aire sacrée, portant 
                  le nom de Es Snam, dans le Hodna (Algérie) est rapportée par 
                  Gsell, t. 6, p. 201.  
                [<-] [lvi]  M'Charek. M. De Saint-Augustin 
                  à Al-Bakri sur la localisation de l'Ager Bullensis. C.R.A.I., 
                  1999, p. 115-142.  
                [<-] [lvii]  Apulée L. A. Apologie. 
                  XXIV, 1. Traduction d'après P.Valette. Les Belles Lettres.  
                [<-] [lix]  Contra la carte 
                  de l'Afrique romaine qui situe ce territoire dans le massif 
                  des Aurés. Instructions du C.T.H.S. Recherches des Antiquités 
                  dans le Nord de l'Afrique. Conseils aux archéologues et aux 
                  voyageurs, 1929, p. 1-249.  
                [<-] [lx]  Le premier chiffre correspondrait 
                  à un angle d'azimut (et non pas un numéro d'ordre) et le second 
                  chiffre à une distance en pes (et non pas en passus) 
                  par rapport à la borne voisine. Contra Gsell, mémoires 
                  de la SNAF, 1923, p. 147 (notes de Poinssot et Lantier).  
                [<-] [lxi]  Decramer L., Hilton R. 
                  Le problème de la grande centuriation de l'Africa Nova. Esquisse 
                  d'une solution. Cahiers de la Tunisie, 1996, t. XLIX, n°174, 
                  p. 43-95. Decramer L., Elhaj R., Hilton R., Plas A. Approche 
                  géométrique des cadastres antiques. Les nouvelles bornes du 
                  Bled Segui. Histoire & Mesure, en cours de publication.  
                [<-] [lxii]  Chevallier R. Essai 
                  de chronologie des centuriations romaines de Tunisie. MEFRA, 
                  1958, p. 97.  
                [<-] [lxiii]  Lassère J.-M. Un conflit 
                  "routier" : observations sur les causes de la guerre 
                  de Tacfarinas. Ant. afr. , 1982, t. 18, p. 11-25.  
                [<-] [lxv]  Marius disposait ainsi 
                  de deux légions, selon Sir John Hackett. Warfare 
                  in the ancien world, 1989, p. 171.  
                [<-] [lxviii]  20 km, la distance normale 
                  parcourue par un agmen dans une journée "jusqu'à 
                  la dixième partie du jour".  
                [<-] [lxix]  Révolte de Tacfarinas 
                  et des Musulames en 17-24. On comprend toujours difficilement 
                  comment Marius, pour atteindre le Muluccha marocain, aurait 
                  pu traverser en quelques semaines cette région des Nementcha-Aurès, 
                  alors que cette 3é légion n'atteindra Lambésis qu'en 
                  121 ou 123. Baradez J. Fossatum Africae, 1949, p. 133-138.  
                [<-] [lxx]  redjem : tas de 
                  cailloux de d'épierrement.  
                [<-] [lxxi]  Orose. P. Histoires 
                  contre les païens. Les Belles lettres. Livres IV-VI.  
                [<-] [lxxii]  Gsell, Histoire ancienne 
                  de l'A.F.N. t. 7, p. 125.  
                [<-] [lxxiv]  Atlas archéologique de 
                  la Tunisie. 1892, CIL, vol VIII, suppl. 5-3, 
                  p. 265. Berthier A. Note sur l'épigraphie du Kef. 
                  1953, RSAC, t. 68, p. 177 -198. A. Ferchiou, 1982, RM 89, 441-5.  
                [<-] [lxxv]  Les documents itinéraires 
                  de l'Antiquité. La Table de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin. 
                  Note d'accompagnement des cartes. IGN. Salama P. Les voies 
                  romaines d'AFN, p. 17.  
                [<-] [lxxvi]  Instructions pour la 
                  recherche des Antiquités et les travaux de géographie comparée 
                  en Tunisie. 1885. Archives du SGA. IGN.  
                [<-] [lxxvii]  Toussaint G. Résumés 
                  des reconnaissances archéologiques exécutées par les officiers 
                  des brigades topographiques d'Algérie et de Tunisie. 1898 
                  et années suivantes. Archives du SGA. IGN.  
                [<-] [lxxx]  Instructions du C.T.H.S. 
                  1929. Recherches des Antiquités dans le Nord de l'Afrique. 
                  Conseils aux archéologues et aux voyageurs.  
                [<-] [lxxxiv]  Van Oothegen. J. Les 
                  Caecili Metelli de la République, 1964. Mémoires de l'Académie 
                  royale.  
                [<-] [lxxxv]  Toussaint P. Rapport 
                  sur les reconnaissances archéologiques exécutées par les officiers 
                  de la 2e brigade topographique de Tunisie, 1898, Archives du 
                  SGA.  
                [<-] [lxxxvii]  Saumagne. C. La 
                  manoeuvre du Muthul. Mélanges offerts à Ch. Saumagne et 
                  Les cahiers de Tunisie, 1930, p. 391-405.  
                [<-] [lxxxix]  Zabbou : olivier 
                  sauvage. Sur le plan pédologique, les terrains sont conformes 
                  aux données de Salluste.  
                [<-] [xc]  Monchicourt C. La région 
                  du Haut Tell, p.118. Ce passage ouvre la voie vers Cirta/le 
                  Kef. La stratégie de Jugurtha qui veut sauvegarder sa capitale 
                  est dans ce cas évidente, il bloque le passage obligé du fleuve.  
                [<-] [xcii]  Berthier A, Juillet J., 
                  Charlier R. Le Bellum Jugurthinum et le problème de Cirta, 
                  ibid 20.  
                [<-] [xciv]  Mattingly D., Hitchner 
                  R. Roman Africa : an archaeological review.  1995, p. 
                  213.  
                [<-] [xcv]  Des travaux prometteurs 
                  ont commencé. Voir M'Charek A. : De Saint-Augustin à Al-Bakri 
                  sur la localisation de l'Ager Bullensis. C.R.A.I., 1999 
                  et Kalaat-Sename, une forteresse-refuge de l'Antiquités aux 
                  temps modernes, Histoire et Civilisation du Maghreb, 1999   |  |