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12.0 Un principe opératoire de triangulation.

On doit d’abord considérer ces opérations topographiques dans leur contexte géographique réel et non plus comme un cas d’école. Or, l’étendue de cette centuriation et la nature même du terrain où ces bornes ont été retrouvées permettent d’avancer qu’il est impossible d’effectuer un chaînage au moyen de perches à chaque opération. On a affaire ici à des opérations de “géodésie” d’envergure et non plus à un simple découpage d’une plaine en parcelles agricoles. On sait aussi combien il est difficile d’effectuer une mesure de distance (cultellation), alors qu’il est bien plus simple de relever des angles.

C’est le principe fondamental de la triangulation en géodésie. On mesure au départ une base, puis on propage cette distance par des triangles adjacents judicieusement choisis dont on mesure uniquement les angles. Les romains ne disposaient pas de nos outils mathématiques actuels, ils se sont donc adaptés à des formes géométriques simples dans lesquelles ils connaissaient les relations, des triangles rectangles par exemple. Comme il est toujours possible de décomposer un polygone quelconque en triangles rectangles, on se ramène alors au cas précédent.

En géodésie classique, les triangles sont quelconques et leurs sommets sont choisis selon la topographie du terrain. Les signaux de visée sont toujours sur des sommités bien visibles et dégagées. Ici la démarche est opposée, les triangles sont imposés par leurs formes simples et leurs sommets “tombent ” quelquefois. C’est la principale difficulté. Les gromatici devront donc naviguer entre les obstacles majeurs en évitant par exemple les chaînes de montagne. On a remarqué justement que les bornes tunisiennes sont toutes à l’écart de ces chaînes de montagne et qu’elles sont disposées sur des cardines quintarii ( uk = 5) successives. En d’autres termes, on a
uk = 10* (n+m) = 5, d’où n= m = 0,25.
C’est le plus petit intervalle qui a été relevé.

Exemple pour la borne 20 dont ses coordonnées sont : n= 5,25, m= 18,25 (pl. 8). Si un seul des deux paramètres varie, alors n (ou m) est égal à 0,5, c’est aussi intervalle minimum constaté, par exemple la distance entre les bornes 9 et 1. On dira que 0,25µ est le pas de progression sur la grille losangique = 1/2 R (2,15 km). En Tunisie centrale, la limpidité de l’air rend la visibilité excellente, il y a peu de forêts, les obstacles naturels sont essentiellement les mouvements de terrain. On pourrait admettre que cette distance de deux kilomètres correspond à la visibilité optique maximale entre deux stations principales.

Compte tenu de tous ces éléments, il est possible de proposer une méthode de progression, mais il en existe certainement d’autres: c’est le principe du double cheminement avec deux groma (fig. 12). La base (0P1) est orientée ici au midi. Les deux gromas se déplacent parallèlement, au départ g1 sur la ligne  0 et g2 sur la ligne  0,25. La fermeture des triangles ou des losanges est ainsi assurée. Cette fermeture sur la diagonale est essentielle, si on veut minimiser les erreurs. En P2 (m =0, n= 0,5) la valeur théorique est dd= 3,5 et uk= 5, on déporte la borne de =0,5 c. pour ne conserver qu’une valeur entière 3. C’est le cas de la borne 9 (ill. 2). Sa valeur théorique est 73,5 (7*10,5), mais l’arpenteur n’a retenu que la valeur entière 73. Ce choix n’est pas lié à une difficulté du terrain car nous avons vérifié que sa position théorique est parfaitement bornable, le géomètre a retenu simplement la valeur entière. Par contre, si un obstacle important se présente, il passera sur une autre diagonale. C’est un parcours en forme de baïonnette.

Si ce principe d’avancement, par visées successives uniquement, est parfaitement réalisable il entraîne ipso facto une propagation des erreurs. Un contrôle dimensionnel périodique sur une nouvelle base est donc indispensable. Un nouvel arpentage, réalisé sur un terrain propice, permettra de recadrer et l’orientation et la distance de référence. A ce titre, le tracé de l’ancienne voie d’Asprenas suggère fortement de telles opérations sur certaines portions de route rectiligne orientée nord-sud (axe  ) ou N-O/ S-E (axe  ). Cependant nous ne soutenons pas ici que cette route ait servi d’opération d’arpentage et que la centuriation s’appuie sur la voie préexistante. Nous optons plutôt pour le contraire.

Ce problème d’antériorité entre le cadastre et les voies ne fait pas l’unanimité chez les historiens (Chevallier R. ibid), et pourtant cette méthode est la seule qui soit dans la nature des choses. C’est parce que les géomètres ont d’abord dressé une carte que les “ travaux publics ” peuvent venir ensuite tracer leurs routes. On admettra alors que les triangulateurs de la 3è légion Augusta ont emprunté les voies indigènes existantes pour des facilités d’intendance, comme on pourrait avancer qu’ils ont pu effectuer quelques travaux élémentaires de rectification et de nivellement de terrain pour mesurer leurs bases. Et ces tracés rectilignes, portés sur la forma, ne pouvaient que servir d’ossature aux futurs axes routiers.

Un principe de triangulation.

 

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