La Numidie antique

Il nous a semblé souhaitable de présenter ici quelques planches projetées en avril 2009 au colloque d'archéologie de Tébessa (Algérie), en guise d'introduction à la communication Numidie, qui est notre contribution aux actes de ce symposium.

L'idée d'organiser celui-ci en Algérie a émergé au cours des discussions que nous avons échangées avec les chercheurs de cette université, lors du Toulouse Space Show' 08 organisé par le CNES (Centre National d'Etudes Spatiales) en avril 2008. En effet, notre association Archéologie de l'ASC (Association Sportive et Culturelle) avait été sollicitée pour accommoder un atelier en « Archéologie et Télédétection » dans le cadre des Journées d'Applications spatiales. Elle présenta à cette occasion ses travaux de télédétection en Afrique du Nord¹. Il importait en effet puisque nos recherches sur la Guerre de Jugurtha avaient été conduites pour l'essentiel en territoire tunisien que ces travaux puissent être aussi présentés à nos collègues algériens, résidants dans cette partie orientale de ce qui fut l'antique Numidie.

On se proposait donc d'aborder la question toujours contreversée de cet oued voisin frontalier, le Mellègue (Méleg), un affluent majeur de la Medjerda, le Badragas des Romains, qui demeure encore une frontière historique discutée et disputée. Si l'on en croit le chroniqueur latin le mieux informé de son époque C. Salluste, ce fleuve "séparait les royaumes de Bocchus et de Jugurtha", c'est-à-dire la Maurétanie d'une part et la Numidie d'autre part.

La localisation de cette formidable forteresse, dont la prise signa un de ses plus illustres exploits du consul Marius dans sa guerre en Numidie contre le roi Jugurtha, est essentielle pour les historiens qui souhaitent identifier ce fleuve frontière.

Ce fortin avait été reconnu à l'époque à la Kalaat Senam en Tunisie par d'honorables géographes, mais d'éminents antiquisants l'avaient négligé et le situait au Maroc, jusqu'à ce qu'un certain Berthier² remette fondamentalement en cause cette version académique.

Lors de nos recherches, notre équipe s'était attachée à retrouver les sites archéologiques tels que décrits par les chroniqueurs en s'appuyant sur les techniques modernes de télédétection. L'archéologie aérienne devient dans ce cas une aide précieuse dans la recherche historique³.

Tous les éléments géo topographiques relevés dans les textes de Salluste étaient ainsi repérés sans à priori confirmant ainsi la thèse d'A. Berthier.

Puisque la Table de Jugurtha était bien le fortin assiégé par Marius, l'oued Mellègue voisin devenait logiquement la Muluccha recherchée, ce fleuve si controversé entre les royaumes de Numidie et de Maurétanie. Les conséquences sont d'importance, puisque la frontière est déplacée de près de 1 500 km. Elle entraîne de plus un transfert à forte connotation symbolique et politique de la capitale royale, Cirta Reggia de Constantine en Algérie au Kef en Tunisie.

Si cette thèse est aujourd'hui bien prise en compte par les universitaires d'Afrique du Nord sensibles à s'approprier leurs racines historiques, il n'en est pas de même dans la plupart de nos universités en sciences humaines, où il règne un fort conservatisme. Nous avons pu le vérifier ces jours-là. En fait, le hasard a voulu que je me trouve assis dans un bus près d'une universitaire française ne me connaissant pas. Elle me dit à propos d'une conférence qui allait se dérouler dans l'après midi : “Il y a là un « rigolo » qui prétend que la frontière antique de la Numidie ne se trouve pas au Maroc” et de me réciter le bréviaire de Jérôme Carcopino. J'invitais donc ma voisine à venir m'écouter et à me porter la contradiction si elle le jugeait utile. Ce qu'elle apprit au moins ce jour-là, c'est que la thèse d'A. Berthier ne peut plus être ignorée. Il faut convenir que si l'histoire n'est pas une science exacte, il reste encore du chemin à parcourir pour qu'on ne verse pas dans le dogme ou l'idéologie orientée.