La grande carte romaine d'Orange


 
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[1] L. R. Decramer et al. Centuriations et orientation solaire. Les bornes gromatiques de Tunisie. Cercam, mai 2002 (à  paraître).
 
 
 
 
 
 

 
[2] On doit vérifier que la somme des angles dans le triangle établi sur la diagonale est égale à deux angles droits.

 

 
 
 
 
 
 
[3] L. R. Decramer, R. Elhaj, R. Hilton, A. Plas. Approche géométrique des cadastres romains.
Les nouvelles bornes du Bled Segui. H & M., 2002, XII-1/2.
L. R. Decramer, R. Hilton, A. Plas. Les centuriations et l'orientation solaire. De la Tunisie à la Narbonnaise.
Table ronde du Cercam, Montpellier, mai 2002 (à paraître).
 

 
 
 
 
 
 
[4] Aux exceptions citées par Hygin qui reprochait les manquements à  la règle.

 

 
 
 
 
 
 
[5] A. Roth Congès dans l'Arpentage romain. Histoire des textes - Droit - Techniques. G. Chouquer et F. Favory. Ed. Errance. 2001.

 

 
 
 
 
 
 
[6] M. Pastoureau et al. Rivages & Terres de provence. Edit. A. Barthélemy. 1991.

 

 
 
 
 
 
 
[7] Les plans cadastraux de Piganiol sont aussi fidèles que possibles des marbres. Cependant les centuries ne sont pas exactement carrées pour les plans B et C ou rectangulaires dans le rapport 2*1 pour C, ce qui entraîne une légère déformation du réseau loin de l'origine. Cette méthode évite toute "manipulation" sur la disposition des fragments et toute "simplification" abusive de la topographie de la région.

 

 
 
 
 
 
 
[8] Le modèle permet de calculer l'emplacement exact des centuries, ce qui élimine les imperfections de la superposition des grilles sur les cartes.

 

 
 
 
 
 
 
[9] A. Piganiol. Les plans cadastraux de la colonie romaine d'Orange. XVIe suppl. à Gallia, 1962

 

 
 
 
 
 
 
[10] G. Chouquer. Localisation et extension géographique des cadastres affichès à  Orange. In Clavel-Lévêque, 1983, p. 275-295. Les Arpenteurs romains, 1992, p. 152-153.

 

 
 
 
 
 
 
[11] L. R. Decramer, R. Elhaj, R. Hilton, A. Plas. Approche géométrique des cadastres romains. Les nouvelles bornes du Bled Segui. Histoire & Mesure, 2002, XII- ½, p. 109-162.

 

 
 
 
 
 
 
[12] Sa largeur peut être estimée entre 110 et 560 m.

 

 
 
 
 
 
 
[13]
The formation of the Crau and Camargue.
 

 
 
 
 
 
 
[14] L. R. Decramer et al. Les cadastres d'Orange. Méthodes de recherche et résultats. Nov. 2004 (à  paraître).

 

 
 
 
 
 
 
[15] L. R. Decramer, R. Hilton, L. Lapierre, A. Plas. La grande carte de la colonie d'Orange. Colloque Autour des Libri Coloniarium. ISTA. Besançon, Oct. 2003 (à  paraître). Des mêmes auteurs. Le cadastre romain d'Orange. Archéologia nº404 Oct. 2003, p. 36-46. L. Lapierre, L. R. Decramer, R. Hilton et A. Plas. Les cadastres gallo-romains d'Orange. Les jardins des Antiques (Amis du Musée Saint-Raymond), avril 2004.

 

 
 
 
 
 
 
[16] La lecture de Piganiol [DDX] XXII, CK I est confirmée.

 

 
 
 
 
 
 
[17] Ou un quasi demi carré, car l'angle en A est presque droit. Notre groma C n'est encore qu'approchée.

 

 
 
 
 
 
 
[18] O. W. Dilke. Les arpenteurs de la Rome antique. 1971. Edition française APCDA, 1995.

 

 
 
 
 
 
 
[19] Orthodromie, la route selon un grand cercle,
C3 : 0 663 235 ; 4 875 685 m (UTM 31).
Loxodromie, route d'azimut constant,
C2 : 0 663 960 ; 4 876 360 m.

 

 
 
 
 
 
 
[20] La différence tient compte de la convergence des méridiens.

 

 
 
 
 
 
 
[21] Soit une translation d'une ou deux centuries.

 

 
 
 
 
 
 
[22] Archéologia, nº 404 octobre 2003 : Le cadastre romain d'Orange.

 

 
 
 
 
 
 
[23]
http://oltur.free.fr/histoir/
exposes_cadastres.htm

 

 
 
 
 
 
 
[24] Compte rendu du rapporteur à la Revue Archéologieque de Narbonnaise. Avril 2004.

 

 
 
 
 
 
 
[25] G. Chouquer. L'étude des paysages. Essais sur leurs formes et leur histoire. Edit. Errance, 2001.

Ou une nouvelle controverse du Midi de la France

Les fragments du cadastre d'Orange comptent parmi
les plus extraordinaires documents topographiques qui aient été conservés.
(Rivages & Terres de Provence)

      Le musée d'Orange peut s'enorgueillir de posséder les plus belles et les plus grandes cartes romaines authentiques que l'on connaisse. Ce trésor archéologique a suscité un intérêt considérable dans la communauté des antiquisants au moment de sa découverte. Depuis, ces documents uniques qui devraient être classés monument géographique dans le patrimoine mondial des Sciences, n'ont pas trouvé encore leur juste place.

Découvertes à épisodes

      L'histoire de la découverte de ces « marbres d'Orange » n'est pas banale. Elle commence en 1856 par un premier fragment trouvé dans le théâtre antique. D'autres découvertes fortuites se succèdent et attirent l'attention des savants allemands qui reconnaissent dans un de ces fragments « une inscription importante, une sorte de registre divisé par cases ». Il faudra attendre 1949 pour que les archéologues tombent, au cours de travaux d'excavation d'une chambre forte d'une banque, sur un nid de marbres conséquent. Ils seront étudiés par R. Amy et le chanoine Sautel, directeur de la circonscription des Antiquités, qui poursuivra des recherches systématiques jusqu'à son décès en 1955. Depuis, aucune découverte significative ne viendra enrichir ce patrimoine. André Piganiol publiera en 1962 une synthèse remarquable dans « Les documents cadastraux de la colonie romaine d'Orange ».
      Comment se présentent ces plans cadastraux ? Ces plaques de marbre gravées couvrent trois des murs d'une salle dédiée du musée, le plus grand ne faisant pas moins de 7,56 m de large sur 5,90 m de haut (fig. 1). A. Piganiol les comparait à la grande carte du monde affichée à Rome aujourdhui disparue, en faisant remarquer « qu'ici au moins trois cadastres étaient affichés ». Réalisés sur l'ordre de l'empereur Vespasien en 77 apr. J.-C., ces plans étaient alors exposés dans le tabularium de la cité d'Arausio.

Des cartes étonnantes

      Parmi les centaines de fragments, Piganiol et ses collaborateurs ont reconnu trois plans distincts, appelés par commodité A, B et C. Chacun se présente sous forme d'un carroyage gravé dans le marbre, une grille régulière carrée pour les cadastres B et C, rectangulaire pour le A, sur laquelle figurent les coordonnées de la parcelle (la centurie), les surfaces attribuées, la rente à payer et parfois le nom de l'adjudicataire. De plus, apparaissent sur ces cartes des éléments topographiques majeurs tels que fleuve, rivière, île, voire des voies romaines que les géomètres romains notaient sur leurs minutes lors des levers et qu'ils reportaient en fond de carte.

Fig. 1. : Le cadastre B affiché à Orange
Fig. 1. : Le cadastre B affiché à Orange

      Malheureusement aucun nom de cités ou de lieux géographiques connu n'apparaît qui permette d'identifier à coup sûr ces cartes. Cependant, ces éléments topographiques sont essentiels pour celui qui sera capable de les identifier et ainsi les superposer à ceux des cartes modernes.
      Selon un principe bien connu, les centuries sont repérées par leurs coordonnées, à savoir : DD (à droite du décumanus), SD (à gauche du décumanus), CK (en deçà du kardo) et VK (au-delà du kardo). Elles ont été indispensables aux archéologues pour reconstituer ces immenses puzzles, comme elles le seront aux géographes pour les restituer sur le terrain. Les axes majeurs, le decumanus maximus et le kardo maximus, sont représentés par deux bandes orthogonales peintes en rouge d'après les traces de colorant retrouvées (fig. 1). A l'origine de ces axes, point fondamental du cadastre, les géomètres commencent leurs observations astronomiques, puis plantent leur groma, cette alidade « qui sert à la fois d'instrument de visée et d'équerre » pour orienter le decumanus maximus selon un azimut déterminé.

encore énigmatiques.

      Piganiol notait que « la limitation n'existe pas sine mundi ratione ». Cette « ratio mundi » semble encore bien obscure. Les philologues n'en finissent pas de disserter sur son sens profond : « système du monde » ?, « raison au monde » ? Ces incertitudes ont conduit à des interprétations hasardeuses des systèmes d'orientation, comme l'orientation sur un bord de mer par exemple. Aussi cette méthode d'orientation méridienne sera souvent occultée et leur instrument de visée restera aussi mystérieux.
      Les documents cadastraux trouvés à Orange sont d'une richesse épigraphique, historique et géographique exceptionnelle. Il importait donc de les reconnaïtre sur le terrain. Ce qu'a fait Piganiol à l'aide de cartes, de photos aériennes et de prospections. Le cadastre B le plus riche en éléments topographiques était vite repéré. Il couvre la vallée du Rhône depuis Orange jusquà Montélimar avec une grille orientée à 5,5 grades Est et une origine située près de Lapalud. Une grande plaque du plan C avait été reconstituée sur laquelle apparaissent un fleuve, des îles : les insulae Furianae et un fossé : la fossa Augusta. Piganiol croit reconnaître l'île de la Piboulette en face de Caderousse et installe son cadastre, sans grande certitude, dans la vallée de l'Ouvèze. Il dispose, quant au troisième, d'un indice : un îlot sur un important cours d'eau sur lequel une corporation de passeurs, les Ernaginenses, pratiquait cette activité. Aussi place-t-il de façon assez arbitraire son plan dans la vallée de l'Aigue (fig. 2). La reconnaissance de ces trois cartes n'était donc pas assurée. Elle ouvrait nécessairement la voie à de nouvelles recherches.

Fig. 2. : Localisation selon Piganiol (1962)
Fig. 2. : Localisation selon Piganiol (1962)
Fig. 3. : Localisation selon Chouquer (2001)
Fig. 3. : Localisation selon Chouquer (2001)

Des solutions provisoires

      L'historien britannique, Oswald Dilke souligne que l'on ne sait rien de la centuriation initiale qui nécessita sa révision sous Vespasien. Si des fouilles et des travaux complémentaires ont permis de confirmer l'assise du plan B, on s'interroge toujours sur l'emplacement des deux autres. Pourtant les hypothèses n'ont pas manqué. Le cadastre C naviguait entre Valence et la Camargue pour se retrouver quelque part dans la vallée de l'Ouvèze, tandis que le plan A se situait tantôt dans la vallée de l'Aigue, tantôt près de Châteaurenard pour aboutir dans la petite Crau. Des solutions définitives (fig. 3) étaient-elles enfin apportées ?
      Selon son inventeur, la fameuse « fossa Augusta » était enfin reconnue dans une importante anomalie topographique du paysage et la groma du cadastre C pouvait être fixée sur la rive gauche de l'Ouvèze. Quant au fleuve du cadastre A, il serait cette « ancienne Durance » lorsqu'elle frayait à cette époque son lit entre les Alpilles et la Montagnette avant d'être déviée et rejoindre le Rhône en Avignon. Ces thèses, largement acceptées, ont été souvent reprises pour ébaucher de nouvelles interprétations historiques, malgré les quelques voix qui se sont élevées pour faire remarquer que ces carroyages avaient laissé bien peu de trace dans le parcellaire actuel.

Le cadastre, un espace géométrisé

      Les Romains qui avaient hérité des sciences grecques, avaient une vision très rationnelle de la Terre. Après avoir observé les astres, calé leur équerre pour déterminer leurs axes majeurs, ils tiraient sur le terrain des lignes parallèles et perpendiculaires pour dessiner un vaste réseau quadrillé. Pour cela, ils arpentaient une distance en terrain propice afin de mesurer une base au moyen de perches mises bout à bout. Généralement, cette trame régulière avait une maille carrée d'une centurie (1 centurie = 20 actus = 707 m environ) qu'ils matérialisaient par des jalons et ainsi de suite. Ils plaçaient parfois sur la cinquième ligne, le quintarius, une borne taillée qui portait ses coordonnées (fig. 4). Cest ainsi qu'on a retrouvé en Tunisie une trentaine de bornes gromatiques ainsi gravées[1]. Ces coordonnées inscrites sur les bornes ou portées sur le plan (Orange) sont indispensables pour reconnaître de façon indubitable les axes majeurs. Ces opérations d'alignement et de mesure sont longues, fastidieuses et sujettes à erreur surtout en terrain difficile. Si on en croit les textes, les géomètres devaient valider chaque quintarius par une vérification de la fermeture sur la diagonale[2] principale afin d'éviter des dérives trop importantes.
      Le cadastre est une construction géométrique qui ne laisse pas de place à la fantaisie. Il est identifié par trois paramètres : Les coordonnées cartographiques de l'origine (la groma), l'orientation des axes principaux (par rapport au nord géographique) et la valeur de la centurie (en mètres). On détermine aussi son étendue pour définir l'emprise.

Figure 4 : Borne gromatique de Tunisie
Fig. 4. : Borne gromatique de Tunisie

      Un modèle géométrique

      On a recherché parmi les centuriations publiées et parfaitement authentifiées, les critères qui président à leur identification.

RATIOS D'ORIENTATION

Angle a
(º)
0,00 5,71 11,31 16,70 21,80 26,57 29,05 30,96 32,01 35,54 38,66 39,81 45,00
Ratio
(tg a)
0 1/10 1/5 3/10 2/5 5/10 5/9 3/5 5/8 5/7 4/5 5/6 10/10


 

L'orientation solaire.

      Nous avons montré[3], confirmant les travaux de M. Guy, que les géomètres choisissaient toujours[4] des rapports au monde sous multiples de 5 qui sont rappelés ci-dessus. On a donc émis l'hypothèse que la « ratio mundi » devait être le « rapport à l'axe du monde », c'est-à-dire le « rapport des 2 côtés » de l'angle, ce qu'on appelle communément la tangente de l'azimut. Les termes de « système du monde » ou « raison du monde » parfois employés n'ont pas le même sens technique.
      On s'interroge encore sur cette mystérieuse équerre qui permettait « d'établir le decumanus de manière rigoureuse », sans y apporter de réponse. Pourra-t-on faire un jour le rapprochement avec l'équerre utilisée par Gemma Frisius au XVIe siècle lors de la première triangulation reconnue ou bien celle illustrant le traité d'Horographie théorique et pratique du père Rigaud pour le tracé d'une carte militaire (fig. 5) ? Ici, le principe de la mesure est explicite pour un géomètre, ce qui n'est pas le cas des interprétations de textes juridico-technico-pédagogiques de certains recueils tardo-antiques[5].

L'emplacement de la groma:

      On a remarqué que ses origines sont toujours situées en terrain plat, dégagé et facilement arpentable : La plaine du Saltus Massipianus en Tunisie, la plaine de Campanie en Italie ou la vallée du Rhône pour le cadastre B d'Orange. Cette origine est parfois définie de façon arbitraire, comme par exemple près de Lunel-Viel pour la centuriation de Sextantio-Ambrussum où aucune borne écrite n'a été retrouvée qui puisse la valider.

La valeur de la centurie:

      Il est possible aujourd'hui de relever des points clés sur le terrain : Bornes gromatiques ou limites identifiées au moyen de GPS par exemple et d'effectuer des calculs précis. On admettra comme réaliste une centurie comprise entre 703 et 710 m (erreur ~0,4 %), les autres valeurs étant considérées comme exotiques.

Figure 5 : Equerre pour le tracé d'une carte (1710) d'après Rivages & Terres de Provence
Fig. 5. : Equerre pour le tracé d'une carte (1710) d'après Rivages & Terres de Provence[6]

Méthodologie

      On dispose avec ces plaques de marbre gravées de documents uniques. Des preuves archéologiques exceptionnelles pour authentifier ces trois cadastres, à savoir :
      -les éléments topographiques rapportés en fond de carte sur la forma,
      -le réseau avec ses axes principaux et les coordonnées des centuries,
      -les indications épigraphiques.
      Nous avons donc conjugué les méthodes qui sont couramment pratiquées dans les techniques spatiales et géographiques pour retrouver l'assiette de ces plans :

1)La méthode géographique

      On recherche d'abord les meilleures correspondances entre tous les éléments topographiques du plan et les éléments cartographiques d'une carte au 1/100 000e ramenée à la même échelle. Cette superposition est approchée, mais elle assure la cohérence entre tous les fragments[7]. La recherche est facilitée en calant la grille romaine sur le méridien selon un des ratios mundi donnés. Toutes les options possibles sont retenues.

2)La méthode géométrique ou géodésique

      On dispose ensuite la grille régulière sur une carte au 1/25 000e en recherchant au mieux les traces des cadastres publiés pour cette région en veillant toujours à respecter le ratio d'orientation. Si nécessaire, les clichés des missions aériennes IGN sont analysés pour reconstituer les trames du parcellaire. On « n'invente » pas de nouveaux cadastres et on ne retient que la ou les solutions acceptables. On affine ensuite les paramètres du modèle géométrique au moyen de cartes détaillées sur CD-ROM et d'outils de calcul appropriés[8]. Les points importants à vérifier sur le terrain, tels que la groma, certains quintarii, etc. sont répertoriés avec leurs coordonnées géographiques.

3)La méthode archéologique

      C'est la vérification expérimentale sur le terrain. La prospection permet d'éliminer les artéfacts. Les points fondamentaux tels que bornes, limites administratives ou sites sont relevés au GPS. Les informations utiles sont recueillies auprès des propriétaires. Les cartes archéologiques et les publications sont exploitées pour les épigraphies ou les vestiges signalés. Après exploitation des données, la position des éléments topographiques de la forma est contrôlée à nouveau sur la carte.

Application au cadastre A d'Orange

      Ce cadastre a fait l'objet de nombreuses études et sa localisation a conduit à diverses propositions. Piganiol[9] estime posséder trop peu de données certaines pour reconstituer avec certitude sa structure. Seule indication topographique pour installer ce cadastre sur le terrain, un ïlot situé près de la groma (fig. 6).

Fig. 6. : Le cadastre A d'Orange (fragment 7)
Fig. 6. : Le cadastre A d'Orange (fragment 7)

Le fleuve, l'ïlot, les Ernaginenses et la groma A.


      Il suppose un decumanus maximus confondu avec celui du cadastre B et retient les paramètres suivants :
      Orientation : 5,5 grades Est (+5º).
      Centurie double (20*40 actus) de module 710*1420 m.
      Origine supposée de la groma : Au sud de l'Aigue, à peu près à mi-distance de Saint-Roman-de-Malegarde et de Buisson.
      Extension géographique : Au sud-est du cadastre B (fig. 2).
      Il convient « ne pas pouvoir proposer une solution certaine » et laisse le champ libre à d'autres hypothèses. Aussi, certains ont-ils suggéré sans analyse véritable de le situer dans la vallée de l'Ouvèze ou dans la plaine de Châteaurenard. Il faudra attendre 1983 pour que Chouquer[10] propose une solution originale en le plaçant plus au sud, entre Nîmes et Cavaillon.
      Caractéristiques du cadastre A d'après Chouquer :
      Orientation : + 2,5º (Est) selon un plan inversé de Piganiol.
      Centurie double de module 709*1418m.
      Origine de la groma : Au nord de Saint-Etienne-du-Grès, au carrefour de la D 79a (ex. N570) et de la D 99 (position UTM : 0 637 700 ; 4850 220 m).
      Extension géographique: De Nîmes à Cavaillon et Salon, et de Sorgues à la voie Aurelia (fig. 3).

Fig. 7. : Restitution exacte du cadastre A selon les paramètres de Chouquer
Fig. 7. : Restitution exacte du cadastre A selon les paramètres de Chouquer

      Pour étayer son argumentation, l'auteur s'appuie sur le site d'Ernaginum (Saint-Gabriel) et assoit son assiette dans la vallée de la « Durance antique », le lit de l'actuel canal de Viguerat. Cette restitution est généralement admise, même si certains auteurs ont noté « qu'on aurait quelque difficulté à admettre son existence à partir de la restitution proposée, s'il n'y avait pas les plaques de marbre » et posent le problème « d'une éventuelle relation entre les faits archéologiques et ce système ».

Le cadastre de la « Durance antique »...

      Nous avons examiné en détail cette hypothèse et remarqué que cette centuriation englobe pour l'essentiel des zones marécageuses ou montagneuses incultes et inaccessibles (fig. 7), ce qui est en contradiction avec nos observations faites en Tunisie[11] (CIL VIII, 22788). Il est impensable même de nos jours de tracer des parcelles régulières sur des sommets escarpés de montagnes (fig. 8). Le plan de Piganiol est inversé à partir d'une hypothèse que l'auteur avoue être fausse. Des régions entières non portées sur la forma sont cadastrées tandis que d'autres, telles la Crau, sont au contraire gommées. On a donc reporté fidèlement le cadastre marmoréen sur une carte à même échelle (fig. 7) selon son hypothèse. La comparaison des deux emprises est édifiante de la manipulation.
      L'auteur postule également que le fleuve du fragment 7 (fig. 6) qui nécessite une batellerie pour le traverser[12] est l'antique Durance : « Cette rivière passait au sud de la Montagnette, alors qu'elle contourne aujourdhui ce massif par le nord » (fig. 3), affirme-t-il. Cette démonstration relève du principe de pétition. On affirme sans aucune référence à une étude hydrologique ou géologique qui puisse la valider. La Durance n'est jamais passée près de Saint-Gabriel. On admet au contraire qu'elle franchissait le pertuis de Lamanon pour déposer ses débris alpins dans la Crau ; son cours ayant été ensuite détourné par un mouvement tectonique à la fin de la dernière glaciation (Würm), il y a près de 10 000 ans, pour rejoindre le Rhône près d'Avignon[13]. La largeur d'un ruisseau est même exagérément grossie pour accorder le dessin de la forma à sa carte (fig. 3). Ces arguments n'ont pas de valeur probante[14]. Il s'appuie par exemple sur le site de Saint-Gabriel pour installer le fragment 7 alors que G. Barruol avait attiré au contraire son attention sur l'importance des Ernaginenses, ces passeurs qui opéraient sur le Rhône entre Arles et Tarascon. La nuance est d'importance.

Fig. 8 : Barres rocheuses arpentées selon cet auteur
Fig. 8 : Barres rocheuses arpentées selon cet auteur

      Il fait allusion à un problématique marais près de Maillane pour justifier l'existence d'une frontière cavare que cet auteur place entre la Montagnette et les Alpilles. Cette « limite » donnerait « corps à l'hypothèse de Barruol », peut-il ainsi conclure, alors que cette frontière tracée en plein cœur de pertica ne se justifie pas. Elle trouvera sa juste place en « limite extrême » du plan marmoréen dans la version que nous proposons
      Le parcellaire pris en compte par l'auteur sur les clichés aériens correspond à moins de 3% de la surface arpentée ! En retenant le parcellaire moderne, l'orientation d'authentiques voies romaines est oubliée, la Domitia en particulier.

Ou une centuriation de Nîmes affichée à Orange

      Les éléments topographiques des marbres ont été superposés sur une carte et leur cohérence recherchée avec la topographie actuelle. La meilleure solution semble consister à placer l'ïle du fragment 7 sur la Barthelasse près de Tarascon (fig. 9). La centurie des Ernaginenses trouve sa juste place sur le trajectum Rhodani (traversée du Rhône, fig. 10) bien connu de la voie Domitia décrit par les gobelets de Vicarello.
      Le plan s'oriente alors selon le cadastre de Nîmes répertorié par les archéologues avec un azimut d'environ 31º (fig. 13).
      Les paramètres de la centuriation prennent alors les valeurs suivantes :
      Groma : Lieu-dit les Radoubs au sud de Tarascon UTM 31 : 0 633 250 ; 4 849 630 m.
      Orientation : Ratio = -3/5 (30,96º W), Centurie 20* 40 actus de module 707* 1414 m.
      Etendue : De Nîmes à Arles, et de la vallée du Vistre à la route d'Agrippa sur la rive gauche du Rhône.

Fig. 9 : Installation du fragment 7 sur la carte au 1/25 K
Fig. 9 : Installation du fragment 7 sur la carte au 1/25 K

 
Fig. 10 : Le <i>trajectum Rhodani</i> à Beaucaire / Tarascon
Fig. 10 : Le trajectum Rhodani à Beaucaire / Tarascon

      Cette nouvelle restitution a l'avantage de placer les terres R(ei) P(ublicae) appartenant à l'Etat romain, non plus sur les sommets escarpés des Alpilles, mais sur les riches terres de la colonia Augusta Nemausus (Nîmes) (fig. 11 et 12). La voie romaine gravée sur le fragment 8 se retrouve dans le prolongement de celle du fragment 7, comme suggéré par Piganiol.
      La pierre opisthographe gravée sur les deux faces que Piganiol n'avait pas placée, s'ajusterait sur la limite orientale du cadastre conformément à la frontière cavare de Barruol. L'emprise de la pertica (fig. 13) s'adapte bien à la topographie de la région : Seules les plaines sont cadastrées en évitant soigneusement les montagnes. En particulier, la forme en trapèze du réseau dans sa partie Est (vk) s'infiltre exactement entre les Alpilles et la Montagnette, tandis que la limite septentrionale s'ajuste sur le piémont des garrigues de Nîmes. Cependant il subsiste une anomalie importante, les marais au sud de Saint-Gilles semblent encore cadastrés, ce qui paraît étonnant (fig. 13). Une réponse devra être apportée.

Fig. 11 : La vallée du Vistre et la ville de Nîmes (<i>colonia Nemausus</i>)
Fig. 11 : La vallée du Vistre et la ville de Nîmes (colonia Nemausus)

      Il n'est donc pas nécessaire de mettre « à l'envers » un plan parfaitement orienté, d'assimiler des tronçons de chemins « modernes » aux traces d'un parcellaire antique imaginaire, de rechercher une lointaine cité dans « l'orbite de Marseille », d'engendrer une « vaste zone marécageuse » hypothétique pour justifier une frontière, d'inventer un « fleuve fossile » et créer un « commerce fluvial » sur un ruisseau de drainage pour trouver une assise adéquate à ce plan.

Fig. 12: Installation des terres RP dans la Vistrenque
Fig. 12: Installation des terres RP dans la Vistrenque

 
Fig. 13 : Le cadastre A d'Orange  Nîmes
Fig. 13 : Le cadastre A d'Orange Nîmes

      Restitution des cadastres B et C d'Orange

      Ces cadastres ont fait l'objet détudes détaillées auxquelles nous renvoyons[15]. Nous en rappelons ici l'essentiel :

      1-Le plan B

      Ce cadastre, le plus grand (950 km²) et le plus riche en fragments retrouvés (fig. 1) a été bien étudié. Sa localisation n'offre pas de difficulté. Piganiol l'à bien cernée et de nombreux travaux complémentaires l'ont précisée. Les éléments topographiques tels que le Rhône et ses affluents, le Jabron et la Berre sont suffisants pour asseoir les fragments sur une carte. La méthode géométrique employée permet d'affiner les paramètres de la centuriation :
      Origine de la groma : 0 637 220 ; 4 906 060 (UTM 31). Elle se situe près de Lapalud, sur la D 8 (le decumanus maximus), près de la «ferme Durand», à environ 130 m à l'est de l'origine proposée par Piganiol.
      Orientation : Ratio mundi 1/10 (5,71º est au lieu des 5º retenus à ce jour).
      Centurie 20*20 actus de module 707 m.
      La restitution de cette centuriation ne pose pas de problème majeur. La mise en place des marbres sur les cartes topographiques (fig. 15) et de la grille permet de confirmer les limites autour de la groma (fig. 14) : La limite dd 2 à Pont de Coucau et le quintarius dd 5 sur la limite départementale au nord de la centrale du Tricastin. La voie ferrée qui emprunte l'ancien chemin vk 3 au nord de Lapalud est un bon indicateur de l'orientation du cadastre 5, 7º au lieu des 5º admis jusquà ce jour.
Cette légère correction d'azimut est nécessaire, dès que l'on s'éloigne de l'origine. Elle permet, par exemple, de placer le fragment nº 404[16] (fig. 16 et 17) et de préciser le tracé de la voie d'Agrippa entre Novemcraris (Logis de Berre) et Acunum (N. D. d'Aygu, près Montélimar). Cette voie emprunte la départementale 206 au nord de Malataverne (fig. 16), proposition déjà suggérée par G. Barruol et pressentie par J. Benoit. Cette voie portée sur la forma est manifestement antérieure à la révision vespasienne.

Fig. 14 : Vallée du Rhône près de Lapalud
Fig. 14 : Vallée du Rhône près de Lapalud
 
Fig. 15 : Installation des fragments de B autour du <i>kardo maximus</i>
Fig. 15 : Installation des fragments de B autour du kardo maximus

 
Fig. 16 : Le tracé de la voie d'Agrippa sur la carte de Cassini
Fig. 16 : Le tracé de la voie d'Agrippa sur la carte de Cassini
 
Fig. 17 : Emprise du cadastre B dans la vallée du Rhône
Fig. 17 : Emprise du cadastre B dans la vallée du Rhône

      2-Le plan C

      Ce cadastre couvre une superficie de 500 km². Il est constitué de quarante sept fragments dont un ensemble d'îles, les insulae Furianae. Piganiol pensait les reconnaître dans une île du Rhône, la Piboulette près de Caderousse. Chouquer qui ne retient plus l'hypothèse d'un cadastre installé dans les marécages de la Camargue, appuie son dernier modèle morpho-historique sur l'île de la Piboulette. Il a pour inconvénient majeur de placer des terres cadastrées sur les Dentelles de Montmirail. Pour cela, il suppute « une importante anomalie topographique à plusieurs kilomètres à l'Est du Rhône » pour justifier la présence d'un « canal », la fossa Augusta et pour asseoir son cadastre dans la vallée de l'Ouvèze.
      Suivant la même méthodologie, on a superposé le plan de Piganiol sur les cartes en recherchant la meilleure correspondance entre la topographie des insulae Furianae et toutes les îles du Rhône, sans a priori. Le problème n'est pas évident, car le profil des îles a changé au cours du temps et plusieurs cadastres d'orientation différente ont été reconnus dans la région. On a aussi recherché une assise de la pertica qui évite les massifs montagneux des Dentelles de Montmirail.
      Pour satisfaire toutes ces contraintes, une solution cohérente consiste à installer les insulae Furianae sur les îles de la Barthelasse et d'Oiselet près d'Avignon (fig. 18).

Fig. 18 : Installation des <i>insulae Furianae</i> sur le Rhône
Fig. 18 : Installation des insulae Furianae sur le Rhône

      L'étude détaillée des photos aériennes (fig. 19) conduit à retenir un parcellaire orienté à ~10º Ouest, soit un ratio de -1/5 (11,31º Ouest). Dans ces conditions, le cadastre C prendrait alors les caractéristiques suivantes (fig. 21) :
      Origine de la groma : Première estimation 0 622 820 ; 4 875 890 m (UTM 31). Elle se situe entre Monteux et Pernes-les-Fontaines, au carrefour de la D 49 et de la D 97.
      Le decumanus maximus serait alors le chemin de Patris qui part de ce carrefour selon l'orientation du cadastre (fig. 19).
      Orientation : Ratio mundi -1/5 (-11, 31º).
      Centurie de 20*20 actus de 707 m.
      Ainsi, la fossa Augusta devient un bras du Rhône entourant l'île d'Oiselet (fig. 20) et le fragment 320 placé en « limite de colonie » par Piganiol trouve sa place au pied des Dentelles de Montmirail près de Beaumes-de-Venise. La voie romaine du fragment 310 pourrait être la D7 entre Carpentras et Aubignan (fig. 21). Les coïncidences relevées entre les éléments topographiques du plan et les cartes sont assez nombreuses pour retenir cette solution, même si celle-ci devra être précisée.

Fig. 19 : Parcellaire orienté près de Carpentras (Photo aérienne IGN)
Fig. 19 : Parcellaire orienté près de Carpentras (Photo aérienne IGN)

 
Fig. 20 : La <i>fossa Augusta</i> et l'île de l'Oiselet
Fig. 20 : La fossa Augusta et l'île de l'Oiselet
 
Fig. 21 : Localisation du cadastre C
Fig. 21 : Localisation du cadastre C

Un résultat surprenant

      Les trois plans ont été placés sur une carte de la vallée du Rhône (fig. 22). On remarquera que les trois perticae épousent les plaines de la vallée du Rhône en évitant les grands massifs montagneux. Leurs axes cardinaux sont orientés selon leurs plus longues distances. La groma de A se situe exactement sur le kardo maximus de B, tandis que le triangle ABC forme un quasi triangle rectangle isocèle[17], dont la base vaut 56,60 km (80 centuries). Si lon tient compte du dernier quintarius du kardo maximus, le 40e en limite du plan B (point H à l'entrée de Montélimar), ces quatre points se trouvent sur les sommets de trois carrés consécutifs de 40 centuries de côté.

Fig. 22 : Localisation des trois plans cadastraux sur une carte au 1/255 000e
Fig. 22 : Localisation des trois plans cadastraux sur une carte au 1/255 000e

      Cette figure géométrique parfaite n'est pas le fait du hasard. Il y a volonté manifeste de coordonner ces trois cartes. Les trois plans cadastraux d'Orange formeraient les trois volets d'une seule et même carte pour couvrir la vallée du Rhône depuis Arles jusquà Montélimar. Ce résultat « expérimental » est fondamental. Les trois gromae et le quintarius H sont placés aux nœuds d'un système de triangulation de grande ampleur, ce qu'il est convenu d'appeler un « système géodésique de premier ordre ». Il pourrait, peut-être, expliquer pourquoi la révision vespasienne nous paraît si cohérente. Etait-ce cette centuriation initiale de 35 av. J.-C. environ, dont l'historien O. Dilke[18] fait allusion ? Cette harmonie des formes confirme, s'il le fallait, les assiettes et la validité des méthodes d'orientation proposées pour les retrouver.
      Si l'on tient compte de l'extension réelle du plan A au Sud et des cadastres signalés dans la plaine de la Crau, il est possible de compléter ce système de triangulation par un autre point hypothétique I dans la plaine d'Istres, au pied de l'oppidum du Castellan (fig. 23). Cette triangulation devait probablement se poursuivre vers le nord, du côté de Valence où d'autres réseaux quadrillés ont été reconnus.
      On peut donc à partir de cette géométrie déterminer l'emplacement théorique de la groma C. Il a été calculé à partir de la groma B la mieux précisée, en retenant deux routes possibles : Une orthodromie et une loxodromie[19]. En effet, le cheminement des géomètres est différent selon qu'ils tiraient de longs alignements ou bien qu'ils se recalaient régulièrement sur le méridien local[20]. Ces deux origines théoriques tombent dans un triangle compris entre les routes D 938 et D 87 qui partent de Pernes-les-Fontaines vers Carpentras ou Monteux. Dans tous les cas, elles se situent non loin de l'origine initiale présumée. Ce qui ne change pas fondamentalement l'assise du plan C[21], mais les recherches devront se poursuivre.

Aux conséquences inattendues

      Cette triangulation de premier ordre permet de préciser l'assiette des cadastres. Prenons un exemple pour en comprendre l'intérêt. Le cadastre d'Orange Nîmes soulevait une difficulté : Des marais au sud de Saint-Gilles semblaient cadastrés. Piganiol et Amy avaient créé une assise I arbitraire pour satisfaire une lecture incertaine des fragments 1 et 2. Ses terres de statut RP se trouvent fort éloignées des autres terres de même nature et « tombent » dans les marais de la petite Camargue. La présence d'un joint et d'un goujon justifie de placer cette assise non plus en bas du mur, mais en haut. Il suffit de lire sd (à gauche du décumanus) au lieu de dd (à droite du décumanus).

Fig. 23 : Un système de triangulation de premier ordre
Fig. 23 : Un système de triangulation de premier ordre


      Selon cette interprétation, à confirmer par les spécialistes, ces fragments trouvent leur place aux environs de la colonie de Nîmes (fig. 24). La limite Nord de la pertica commence alors exactement aux portes de la ville et suit une ligne géographique en piedmont des garrigues, ce qui paraït plus logique.

Fig. 24 : Proposition pour un cadastre Orange  Nîmes réactualisé
Fig. 24 : Proposition pour un cadastre Orange Nîmes réactualisé

Une nouvelle controverse pour Orange ?

      On dispose avec ces plans marmoréens de documents archéologiques uniques qui permettent de mieux comprendre la cartographie romaine et ses méthodes d'arpentage. Ces résultats « expérimentaux » posent à nouveau la question des connaissances mathématiques, astronomiques et géométriques des hommes de cette époque. Allaient-ils ouvrir de nouvelles perspectives ?
      Nous les avons soumis dans un premier temps à la critique d'universitaires compétents, puis présentés dans un colloque à l'ISTA de Besançon. « Vos travaux apportent du nouveau. Beaucoup de publications sur ce sujet iront à la poubelle. Attendez-vous à une forte résistance ! » nous a-t-on confié, ce jour-là. C'était bien connaître la nature humaine et le milieu de l'archéologie.
      Il est vrai que toute découverte suscite dans un premier temps incrédulité ou critiques, puis il y a discussion. Cette nouvelle lecture des plans d'Orange remettait en cause certains travaux, mais il n'était pas dans nos compétences d'en tirer les conséquences sur le plan historique ou épigraphique. Ce que l'on fit savoir en guise de conclusions dans un premier article paru dans Archéologia[22]. Quel n'a pas été notre étonnement de voir « une querelle d'Orange pour le Midi » apparaître sur un site web[23] ! On répondait à son auteur qu'il n'y avait pas lieu d'entamer une polémique, même si nous étions d'avis différents. Nous acceptions au contraire de participer au « groupe de travail pluridisciplinaire » qu'il proposait de mettre en place. « Ses compétences et sa position dans un grand organisme de recherche semblaient toutes indiquées pour organiser une réflexion d'ensemble sur ces cadastres d'Orange ».
      Nous étions candides. Ce comité d'évaluation n'était qu'un comité de censure pour empêcher toutes les publications de ces « amateurs ». Deux articles étaient aussitôt suspendus. Une étude sur les centuriations de Tunisie et de Narbonnaise qui ne traite pas d'Orange était rejetée sous prétexte que « nous ignorions que la localisation du cadastre A ne souffre plus de discussion depuis la magistrale démonstration de Chouquer en 1983 »[24]. Chacun appréciera. En principe, toute thèse est discutable, y compris la nôtre, a fortiori une proposition qui présente des contradictions. En vérité, les travaux sur les bornes gromatiques de Tunisie qui étaient présentés ne semblaient pas conformes aux interprétations des textes gromatiques de ce rapporteur. Nous étions rentrés, à notre corps défendant, au cœur d'un débat qui avait déchiré et déchire encore la communauté des « cadastreux »[25]. Cet auteur n'avance t-il pas sur le site web la même argumentation ? « Il n'est dit nulle part dans les textes des arpenteurs romains que l'articulation entre des réseaux voisins (d'Orange) doit être fondée sur des relations géométriques ». Ô Galilée ! Cette tendance à examiner les résultats archéologiques à la seule aune de quelques textes tardifs ne fait heureusement pas l'unanimité. Elle a conduit à notre avis à une impasse, au détriment d'approches scientifiques pluridisciplinaires, géométriques en particulier, et à éloigner cette discipline de l'archéométrie.
      Nous pensons proposer ici des méthodes issues des techniques spatiales et géographiques qui semblent prometteuses. Les résultats (inattendus) montrent que les cadastres d'Orange appartiennent à un ensemble géographique cohérent. Ce système nous interroge donc sur les connaissances mathématiques, astronomiques et les techniques en usage chez les géomètres romains. Cette grande carte d'Orange devrait susciter un regain d'intérêt et d'imagination chez les historiens, les épigraphistes et les archéologues et encourager toutes leurs énergies. Ces documents écrits d'Orange, uniques, exceptionnels, concernent de nombreuses disciplines et intéressent la communauté scientifique internationale toute entière. Les « marbres d'Orange », voilà peut-être un thème fédérateur dans un colloque international !


 

Toulouse le 25 janvier 2005
Lionel R. Decramer